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II

Il ne faut pas chercher de littérature en ce livre. La femme, bientôt septuagénaire qui l’a écrit, se borne à nous raconter sincèrement, ingénument, ce qu’elle a vu, ce qu’elle a fait, ce qu’elle a vécu.

On ne demande pas d’exercices de style, pas de figures de rhétorique, pas d’enjolivements, aux militaires de la grande armée dont nous lisons les Cahiers de soldats, Cahiers qui sont aussi, au point de vue de la forme, des cahiers d’écoliers.

Pourquoi se montrerait-on plus exigeant envers l’ouvrière enrôlée dans l’armée de la Révolution, où elle fit son devoir ?

Félicitons-nous plutôt qu’elle ne fignole pas. Un modique vocabulaire et des rudiments de syntaxe, suffisent à quiconque n’a pas l’intention de mentir ou d’épater.

Je me rappelle mon contentement le jour où Victorine B… me révéla qu’elle avait été à la fois ambulancière et cantinière d’un bataillon fédéré. J’allais donc entendre une nouvelle déposition relative à l’abus de la boisson parmi les défenseurs de la Commune !

Tous alcooliques ! est encore le mot d’ordre. C’est l’alcoolisme qui les jeta dans le délirium tremens insurrectionnel et aida heureusement l’armée régulière à réduire des gens qui cuvaient leur ivresse dans le ruisseau, derrière les barricades. Aux uns on passa la camisole de force, aux plus furieux, on n’eut qu’à donner le coup de grâce.

Agacé comme moi, un beau jour, par ces affirmations mensongères, Nadar, tout chaud tout bouillant, comme s’il avait non pas quatre-vingts ans, mais quatre fois vingt ans, protesta ab irato contre l’absurde légende.