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SOUVENIRS D’UNE MORTE VIVANTE

Comme j’aurais été malheureuse, si mon enfant avait été entre des mains étrangères.

Je plains les mères qui ne peuvent élever leurs enfants, et je blâme, celles qui le peuvent et ne le veulent pas, elles abdiquent le premier des devoirs, le plus sacré que leur impose la nature ; elles se privent de bien des jouissances, les seules désintéressées ; si elles savaient comprendre tout le bonheur qu’il y a pour une mère, à suivre jour par jour, heure par heure, le développement de ces chers petits êtres, si faibles, si fragiles ! Il est si doux d’épier leur moindre geste, la moindre transformation. Dès le premier moment, l’instinct dominant est de chercher sa nourriture, il affirme son droit à la vie, nécessité fatale ; son regard vague erre autour de tout ce qui l’environne, semble chercher un point d’appui, une protection ; il s’habitue aux objets, aux bons soins et, dès que sa confiance est établie, il en ressent les bienfaits, il semble remercier, par un doux sourire, qui pénètre jusqu’au fond du cœur, ce sourire-là, une mère ne l’oublie jamais. Les premiers bégaiements, le premier son de sa voix le surprennent, il est si étonné, il n’est pas sûr que ce soit lui-même qui ait produit ce bruit, il s’exerce pour s’en rendre compte ; puis viennent les premiers pas, comme il est fier, le cher petit, lorsqu’il se sent affranchi de toute tutelle ! Je me souviens que lorsque mon fils était assez fort pour marcher, la crainte seule, l’arrêtait, je lui tendis un fil pour qu’il pût mesurer sa force, il le prit avec ses petits doigts, s’élança, de cet instant il était affranchi ; il avait alors