Page:Broglie - Souvenirs, 1785-1817.djvu/59

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Ginguené, plusieurs autres dont le nom m’échappe, M. Villers, arrivant d’Allemagne et inaugurant la philosophie de Kant, au très grand scandale de ses auditeurs ; M. Vanderbourg autre émigré français, frotté de germanisme, et préparant alors la publication des poésies de Clotilde de Surville dans toute la fureur et la sincérité de son naïf enthousiasme.

C’était l’époque où commençait à se prononcer avec vigueur la croisade contre la philosophie du xviiie siècle, où M. de Chateaubriand et M. de Fontanes, M. Joubert et toute la petite coterie dont j’ai déjà parlé ouvraient l’ère de la littérature du xixe siècle sous l’étendard du Concordat.

Rien n’était plus curieux sous ce point de vue que le salon de M. et de madame Suard. Des influences un peu contradictoires y couvaient à petit bruit. Il y régnait tout ensemble un certain esprit de contre-révolution et un dernier retentissement de l’esprit philosophique dont la Révolution n’avait été, à certains égards, que le triste produit et la fatale conséquence.

M. Suard était un très aimable vieillard, d’un esprit fin, délicat ; il était libéral et modéré, accessible aux idées nouvelles que la réaction propageait