Page:Brontë - Les Hauts de Hurle-Vent, 1946.djvu/128

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Je suivis Miss Catherine à Thrushcross Grange et j’eus l’agréable surprise de constater que mes conjectures étaient erronées et qu’elle s’y conduisait infiniment mieux que je n’aurais osé l’espérer. Elle semblait presque trop éprise de Mr Linton ; elle témoignait même une grande affection pour Isabelle. Le frère et la sœur, du reste, étaient très attentifs à son bien-être. Ce n’était pas l’épine qui se penchait vers les chèvrefeuilles, mais les chèvrefeuilles qui embrassaient l’épine. Aucune concession mutuelle : l’une ne fléchissait jamais, et les autres cédaient toujours. Comment pourrait-on être hargneux et avoir mauvais caractère lorsqu’on ne rencontre ni opposition ni indifférence ? J’observai que Mr Edgar avait la crainte bien enracinée d’exciter l’humeur de sa femme. Il lui cachait cette crainte ; mais si jamais il m’entendait lui répondre sèchement, ou s’il voyait tout autre domestique faire la grimace à quelque ordre trop impératif de sa part, il manifestait son déplaisir par un froncement de sourcils qu’on ne remarquait jamais quand il était seul en cause. Plus d’une fois il me parla sévèrement au sujet de mon impertinence. Il m’affirma qu’un coup de couteau ne lui infligerait pas une douleur pire que celle qu’il ressentait quand il voyait sa femme contrariée. Pour ne pas faire de peine à un si bon maître, j’appris à modérer ma vivacité ; pendant l’espace d’une demi-année, la poudre resta aussi inoffensive que du sable, car aucune flamme n’approcha d’elle pour la faire détoner. Catherine avait de temps en temps des crises de mélancolie et de silence. Son mari les respectait avec une sympathie discrète, les attribuant à une altération de sa santé produite par sa grave maladie ; car auparavant elle n’avait jamais été sujette à de tels