Page:Bronte - La Maitresse d anglais - tome 1.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

déjà écoulées plusieurs années de ma vie, furent des années fortunées, durant lesquelles ma petite barque resta amarrée au rivage, bercée par les flots, caressée par les brises, et dorée par un doux soleil ? De combien de femmes et de pauvres filles l’existence est censée s’écouler ainsi ! Pourquoi n’aurais-je pas été du nombre ?

Ce bonheur, toutefois, si bonheur il y eut, devait avoir son terme, car un long cauchemar pèse ensuite sur ma mémoire. L’ouragan succeda au calme et souffla longtemps. Durant bien des jours et des nuits, il n’y eut pour moi ni soleil ni étoiles au ciel. Il fallut tout jeter par dessus bord pour alléger le navire : vain espoir, on ne le sauva pas ! La maison de ma marraine, m’eût peut-être offert un asile dans ce naufrage, mais je ne savais plus même ce qu’était devenue mistress Graham. Les uns la disaient à Londres, d’autres à Edimbourg, où son fils poursuivait ses études médicales. Le temps, d’ailleurs, avait amené pour elle des changements qui ne m’auraient pas permis de me mettre à sa charge sans manquer de délicatesse. La fortune modeste dont son mari lui avait laissé la jouissance pendant la minorité de son fils, avait été placée dans une entreprise par actions où elle s’évanouit en grande partie ; je ne pouvais compter que sur moi-