Page:Bronte - Shirley et Agnes Grey.djvu/742

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et un lendemain d’heureuses espérances. Gaieté de tête sans cervelle, rêves absurdes, espérances sans fondement, direz-vous ; et je ne vous démentirai pas : des soupçons semblables ne s’élevaient que trop souvent dans mon propre esprit. Mais nos désirs sont comme l’amadou : le silex et l’acier des circonstances font continuellement jaillir des étincelles qui s’évanouissent aussitôt, à moins qu’elles n’aient la chance de tomber sur l’amadou de nos désirs ; alors, il prend feu à l’instant, et la flamme d’espérance est allumée en un moment.

Mais, hélas ! ma vacillante flamme d’espérance fut tristement éteinte par une lettre de ma mère, qui me parlait si sérieusement de l’aggravation de la maladie de mon père, que je craignis qu’il n’y eût que peu ou point d’espoir qu’il se rétablît ; et, si proches que fussent les vacances, je tremblais qu’elles ne vinssent trop tard pour que je pusse le revoir encore en ce monde. Deux jours après, une lettre de Mary me dit que l’on désespérait de lui, et que sa fin semblait approcher rapidement. Je demandai aussitôt la permission d’anticiper sur les vacances et de partir sans délai. Mistress Murray ouvrit de grands yeux et s’étonna de l’énergie et de la hardiesse avec laquelle je présentai ma requête ; elle pensait qu’il n’y avait pas lieu de tant se presser, mais enfin elle me donna la permission de partir. Elle me dit pourtant qu’il n’était pas besoin de me mettre dans une telle agitation, que ce pouvait être, après tout, une fausse alarme ; que, s’il arrivait le contraire, eh bien, c’était le cours de la nature ; que nous devions tous mourir, et que je ne devais pas me supposer la seule personne au monde qui fût affligée. Elle conclut en me disant que je pourrais avoir le phaéton pour me conduire jusqu’à O… « Et au lieu de vous plaindre, miss Grey, ajouta-t-elle, soyez reconnaissante des privilèges dont vous jouissez. Il est plus d’un pauvre membre du clergé dont la famille serait plongée dans la ruine par sa mort ; tandis que vous, vous le voyez, vous avez des amis influents prêts à vous continuer leur patronage et à vous montrer toute considération. »

Je la remerciai pour sa « considération, » et montai rapidement à ma chambre pour faire mes préparatifs de départ. Mon chapeau et mon châle mis, et quelques objets entassés à la hâte dans ma plus grande malle, je descendis. Mais j’aurais pu prendre mon temps, car personne ne se pressait, et il me fallut attendre pendant un temps assez considérable le phaéton. À la