Page:Brunet - Manuel du libraire, 1860, T01.djvu/40

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que difficilement. Ensuite viennent les poètes du moyen âge et ceux de la renaissance, tant nationaux qu’étrangers, y compris les mystères, les moralités et les farces. Viennent encore les romans de chevalerie, les nouvelles du xve et du xvie siècle, et surtout les Novellieri italiens : à quoi il faut ajouter les facéties, les dissertations singulières, les satires personnelles, les opuscules historiques et les pamphlets qui se rapportent à des époques intéressantes ou à des personnages célèbres. Dans ce pêle-mêle de curiosités si diverses, il se trouve, nous aimons à le reconnaître, un certain nombre d’ouvrages plus ou moins rares, qui sont en même temps véritablement désirables, et dont le succès se soutiendra éternellement ; mais combien d’autres aussi n’ont dû qu’à la plus futile circonstance une réputation usurpée ! Les bibliophiles, cela soit dit sans sortir du respect que nous leur devons, les bibliophiles sont en général plus enclins à accepter une réputation toute faite qu’à rechercher sur quel fondement repose cette réputation. Il suffit même qu’un de leurs coryphées ait mis en vogue un genre de livres, pour qu’ils veuillent posséder ces mêmes livres. Que serait-ce donc s’il arrivait qu’un de ces esprits privilégiés qui ont le secret de donner du charme et de l’intérêt à tout ce qu’ils écrivent, un Charles Nodier, pour tout dire, après avoir mis par hasard la main sur un bouquin entièrement oublié, ait eu le bonheur d’y rencontrer quelques passages curieux, quelques phrases bien tournées, d’y trouver ou de croire y trouver des allusions malignes à des personnages connus, et qu’ensuite ce spirituel bibliophile signalât sa découverte à l’attention publique dans un de ces articles piquants, dont les feuilles quotidiennes et les revues littéraires régalent de temps en temps leurs lecteurs ? Alors, soyez-en bien certains, les amateurs n’auraient pas de repos qu’ils ne se fussent procuré le merveilleux bouquin dont il s’agit ; et par suite de cet empressement, les exemplaires de ce livre qui pourraient se rencontrer seraient peut-être portés de 2 ou 3 francs à 100 francs et plus. Il est vrai qu’une fois la première curiosité satisfaite, cette ardeur se refroidirait ; mais le livre qui en aurait été l’objet n’en resterait pas moins classé parmi les raretés curieuses, et longtemps encore il conserverait un prix supérieur à sa valeur primitive.

Souvent dans la classe des livres singuliers, comme dans celle des éditions aldines, ce sont de minces opuscules, de simples pièces volantes, qui, dans les ventes, obtiennent les prix les plus élevés. Ces feuilles, à la vérité, sont d’autant plus rares que dans leur nouveauté on avait mis moins de soin à les conserver. Personne alors n’avait songé à les faire relier, en sorte que pour se les procurer depuis, il a fallu en dépouiller d’anciens recueils où elles se trouvaient enfouies et oubliées. Quoique nous ayons fait dans le Manuel une part trop large peut-être à ces curiosités exiguës, il y en a bon nombre dont nous n’avons pas parlé, soit que réellement elles n’en valussent pas la peine, soit qu’elles eussent échappé à nos minutieuses investigations. Cela procurera aux rédacteurs de catalogues, qui auront à les décrire, le plaisir de les signaler comme inconnues à Brunet et à tous les bibliographes[1].

  1. Depuis quelques années, il faut l’avouer, on a singulièrement abusé du mot inconnu, qui réellement n’est applicable que dans certains cas. Par exemple, s’il s’agit d’éditions du xve siècle dont Panzer ou Hain n’aient pas parlé, on peut dire avec raison qu’elles ont été inconnues à ces bibliographes, puisque leur but a été de faire connaître tous les livres imprimés dans le xve siècle. Mais quant aux livres qui ne se trouvent pas dans le Manuel, où je n’ai voulu admettre qu’un choix d’ouvrages et d’éditions, on ne peut me reprocher de les avoir omis qu’autant qu’ils sont véritablement précieux ; et de ceux-là, je puis le dire, après toutes les recherches que j’ai faites, le nombre ne doit pas être fort grand, surtout en faisant abstraction des curiosités étrangères qui n’ont pas cours en France, et de celles qui n’ont quelque importance que dans certaines localités ou comme accessoires de spécialités secondaires. Aussi, j’en suis convaincu, à quelques exceptions près, les livres anciens dont je n’ai rien dit méritent peu d’être décrits.