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a diminué, il obtient à grand’peine la moitié du prix du premier ; un troisième se donne pour 50 fr., et l’on retire difficilement 20 ou 30 fr. d’un quatrième, quand par hasard il se présente, car les bibliomanes, on le sait, ne recherchent guère que ce qui ne se trouve pas aisément. De là le mécompte qu’éprouvent si souvent des spéculateurs inexpérimentés, lorsque, après avoir fait venir de l’étranger des livres qu’ils jugeaient être de bonne défaite chez nous, ils ne peuvent pas trouver à les placer à des prix avantageux.

Ce que nous venons de dire du mérite des éditions aldines ne saurait s’appliquer entièrement aux éditions des Elsevier. Pourtant il est constant que la belle exécution typographique d’une partie des livres sortis des presses de ces habiles imprimeurs leur a acquis une célébrité presque populaire : au point que la première question qu’on adresse ordinairement à un homme qui passe pour aimer les beaux livres, c’est de lui demander s’il a des elseviers. Qu’on ne croie pas cependant que les éditions de ces typographes célèbres, et même les meilleures, soient des livres bien rares. Ce qui peut les rendre précieuses, c’est particulièrement la belle conservation de leurs marges ; un ou deux millimètres de plus ou de moins en fait varier le prix à l’infini. Au reste, ces petits volumes étant d’un usage commode, et par leur prix à la portée des fortunes moyennes, c’est, en fait de livres, le genre de curiosité le plus répandu chez les bibliophiles français, celui qu’avoue le plus volontiers un homme qui ne veut pas passer pour bibliomane. Voilà pourquoi quelques personnes se sont attachées à en former des collections qui ne sont jamais assez complètes à leur gré, et dans lesquelles, trop souvent, le nombre l’emporte sur la qualité. Pour les compléter il leur a fallu quelquefois payer bien cher des livres qui, certes, ne méritaient guère cet honneur. Ne médisons pas trop pourtant de la fantaisie qu’ont eue des amateurs, et des plus distingués sous tous les rapports, de réunir ainsi tout ce qu’un imprimeur célèbre a produit de bon et de mauvais, de payer même au poids de l’or de simples opuscules composés de quelques feuillets, par le seul motif que ces pièces portent ou l’ancre aldine ou un fleuron elsevirien, ou bien enfin parce qu’elles sont d’une grande rareté ; car si le besoin de satisfaire cette manie, la plus innocente peut-être de toutes celles qui peuvent s’emparer d’un homme bien né, a rendu à la circulation des livres tout à fait insignifiants, nul doute aussi que ce même besoin n’ait fait sortir de la poussière où ils restaient ensevelis, plus d’un document utile pour l’histoire, plus d’un opuscule d’un certain mérite littéraire, ou tout au moins curieux par sa singularité.

Parmi les belles éditions des imprimeurs célèbres des derniers siècles, celles des Alde et des Elsevier sont à peu près les seules dont on forme encore des collections ; néanmoins, autant pour leur mérite littéraire que pour leur beauté, les productions des presses de nos Estienne seraient bien dignes d’un pareil hommage. Peut-être le leur rendra-t-on plus tard, et alors leurs éditions, qui sont maintenant à si bas prix, retrouveront-elles une valeur qu’elles n’auraient jamais dû perdre, surtout en France.

Les Livres curieux et singuliers.

Cette classe, dont, à vrai dire, le titre est assez vague, peut s’étendre à l’infini, selon le bon plaisir des curieux. Elle comprend d’abord la Théologie hétérodoxe, genre jadis le plus recherché de tous, et d’un prix fort élevé, mais qui ne conserve plus guère qu’un intérêt historique, depuis que des ouvrages nouveaux, bien autrement hardis que les anciens, ont pu circuler librement parmi nous. Elle comprend aussi des traités spéciaux sur différentes parties des sciences, des arts et de la grammaire, lesquels ne se trouvent