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Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 4, Première partie, 1939.djvu/163

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pensionnaires. Les maîtres écrivains[1] pouvaient enseigner l’écriture et l’orthographe, mais ne devaient avoir chez eux ni alphabets, ni rudiments, ni grammaires[2].

Je dois ajouter, avant de terminer ces éclaircissements préalables, que ce ne sont point ces revendications seulement qui empêchaient l’enseignement de l’écriture de se généraliser. Quelque bizarre que cela puisse paraître aujourd’hui, l’écriture était une spécialité. On trouvera la chose moins étrange, si l’on se souvient qu’il y avait un art de la calligraphie, et que la pratique de la ronde, de la bâtarde, des fioritures et des paraphes était une forme et non des moindres, la seule scolaire en tous cas, de l’art du dessin. Bien des maîtres ou maîtresses y étaient tout à fait étrangers, et nombre d’instructions font allusion à cette insuffisance : « Si le Maitre ne se sent pas assez fort pour montrer lui-même à bien écrire, il se servira d’exemples imprimez, ou encore mieux de celles qui sont faites à la main, lesquelles il colera sur de petites Cartes » (Lettre pastorale de Mgr l’Evesque de Bayeux, p. 67). En 1684, un règlement de l’évêque du Mans pour une école de filles dit : « On pourra même aussi apprendre à écrire à quelques-unes, qui y seroient plus propres, en se servant pour cela des livres d’exemples qu’on leur aura envoyez »[3]. La phrase est significative, surtout qu’elle vient après une autre où il est dit « qu’on ne doit rien négliger pour l’instruction des enfants ». L’art de l’écriture était un luxe, dont les éléments même ne s’enseignaient pas partout, et ne faisaient pas partout partie intégrante du programme d’éducation.

Là où les maîtres, quels qu’ils fussent, enseignaient à écrire, ils s’efforçaient d’enseigner aussi les rudiments de l’orthographe, du moins ce qu’ils en savaient. Une chose n’allait pas sans l’autre. En

  1. Leur corporation avait été reconnue et les statuts avaient été confirmés en 1696.
  2. « Arrest de la Cour permettant de mettre aux portes des tableaux avec l’inscription : Céans petite école, et le nom de celuy qui voudra mettre le dit tableau, et ensuite, Maitre d’Ecole, ayant droit et faculté d’enseigner à la Jeunesse le Service, à Lire, Ecrire et former les Lettres, la Grammaire, l’Arithmétique et Calcul, tant au jet qu’à la plume, de prendre des Pensionnaires ». On ne doit rien ajouter, ni ornements, ni traits de plume ; ils peuvent prendre des sous-maîtres, même pour donner des exemples d’écritures de trois lignes seulement, mais ces sous-maîtres ne peuvent réservés à cet enseignement spécial, ni en tenir école séparée, mais ils doivent donner l’instruction générale. Les maîtres écrivains sont autorisés à se servir « de leurs Imprimez et Manuscrits pour enseigner l’Orthographe seulement, sans qu’ils en puissent abuser, et sans que lesdits Maîtres Ecrivains puissent avoir chez eux, Alphabets, Rudimens et Grammaires » (23 juillet 1714 dans Anciens Statuts, Ordonnances et Reglemens, 1725).
  3. Art. 20. Angot, o. c., 173. À St-Haon-le-Chatel, on tire les exemples de l’Abrégé des Actions des Saints, imprimé pour ce sujet. Un livre sert fréquemment à cet usage, le Manuel de civilité. De là les caractères spéciaux dont on y fait usage.