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Page:Brunot - Histoire de la langue française, des origines à 1900 — Tome 4, Première partie, 1939.djvu/164

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général, l’enfant copiait, et c’est sur l’imitation fidèle de son modèle qu’il avait à se guider. L’instruction de l’évêque de Bayeux dit : « Pour leur apprendre l’Ortographe, on aura soin de voir d’abord s’ils imitent fidelement ce qu’ils coppient. On leur montrera en suite comme se font les lettres Majuscules, les Initiales et les Finales ; et où il s’en faut servir, comme aux noms propres, au commencement de chaque periode et de chaque vers en Poësie : de même les Accens Aigus et Graves et Circonflexes, que l’Accent Aigu se forme de la droite à la gauche ; le grave de la gauche à la droite et le circonflexe des deux joints ensemble, en leur montrant où il les faut appliquer (69-70) ». Le rédacteur ajoute ensuite naïvement : « Si on les juge capables, on leur marquera ce que c’est qu’un Masculin, un Féminin, un Singulier, un Plurier, etc.[1] ».

Ailleurs les moyens sont moins mécaniques, et l’enseignement, tout pratique, eût été fort bon, s’il eût été un peu poussé[2]. Mais toutes sortes d’indices nous montrent que les connaissances des maîtres étaient assez courtes. L’imprimeur Rodilard se moque de ce « chetif écrivain, qui, à grand peine sçait-il lire, nous ènseigne l’Ortographe » (o. c., Ep., 10).

J’ai publié jadis[3], et je redonne ici un placard retrouvé à la Bibliothèque Mazarine, qui est des environs de 1655. Il nous fait assister à une sorte de tournoi, ouvert dans une école de charité. On y défie à deux contre un les élèves des autres écoles. Le document est très curieux, mais il est unique, je crois. Cette école paraît avoir été une vraie école spéciale. Irson compose pour elle une méthode de français, qui est certainement le premier bon ouvrage de grammaire fait en notre langue pour des écoliers[4].

  1. Lettre pastorale de Mgr. L’evesque de Bayeux, 1690, p. 69-70. Caen, chez Morin Yvon.
  2. « Les escrivains liront et escriront à part, prendront exemple après les premières leccons, lesquels exemples leur seront baillés sur leurs leccons, s’ils lisent de grammaire ou aultres choses ; lesquels escrivains seront tenus rendre leurs exemples et les dire par cœur pour apprendre le francoys, et mesme dire en épelant par cœur, comme chacune diction et mots de l’exemple est escrite orthographiée, pour apprendre ledit orthographe, sur quoy le régent les interrogera, remarquera leurs faultes, les leur remontrera et souvent leur conduira les mains en escrivant pour leur apprendre dès le commencement bien former leurs lettres. » (V. Angot, o. c., p. 14-15). Règlement de Laval en 1606.
  3. H. de la l. et de la l. fr. de P. de Jull., IV, 770.
  4. Irson a écrit sa méthode pour ceux qui ne savent pas le latin : « L’ordre que j’ay observé dans cét Ouvrage n’est fondé que sur la Fin que je me suis proposée de soulager ceux, qui pour n’auoir pas appris le Latin ny le Grec, n’esperent pas de pouvoir jamais parler corréctement, soit dans les Entretiens ordinaires, soit dans les Lettres qu’ils écrivent » (Nouv. méth., Paris, 1656, pref.). Ce livre est une vraie encyclopédie française, contenant grammaire, écriture, orthographe, étymologie, style épistolaire, bibliographie.