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serrés que précède une légère avant-garde d’éclaireurs.

Rien d’imposant comme ce défilé de la famille la plus nombreuse des phoques du nord. La surface de la mer est radicalement pavée de têtes, et l’on ne peut, même avec les plus fortes lunettes, mesurer la largeur de la procession.

Le défilé dure de cinq à six jours sans interruption, à la vitesse moyenne de dix milles à l’heure. Aussi, peut-on dire que le nombre des loups-marins qui composent une migration d’automne est arithmétiquement incalculable, et, qu’au point de vue économique, ils représentent une inépuisable richesse. Ceux qui ont vu ce spectacle ne peuvent se défendre de sourire aux craintes souvent exprimées « qu’une chasse trop ardemment poursuivie ne finisse par anéantir l’espèce. » Les plus fortes chasses de Terre-Neuve dépassent à peine un demi-million de têtes, ce qui ne représente pas plus, eu égard à la masse, qu’une poignée d’herbe arrachée à un pré. Aussi, depuis quatre-vingts ans que les Terre-Neuviens font systématiquement la chasse à ces animaux, ils n’en ont nullement diminué le nombre, du moins en apparence. Les tueries les plus effrayantes n’intimident ni n’éloignent les survivants.

* * *

Arrivée à la hauteur du 52° degré de latitude, l’armée des loups-marins se sépare en deux corps, dont l’un prend par le détroit de Belle-Isle et pénètre dans le golfe Saint-Laurent, pendant que l’autre se dirige vers les côtes est de l’île de Terre-Neuve.