Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/150

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
150

Lorsque le faux bruit courut, il y a quinze jours, de la mort de Napoléon iii, le Nouveau-Monde trouva ceci :

« L’ordre politique européen se trouve aujourd’hui menacé par la mort d’un homme, et il en a toujours été ainsi chaque fois que les monarques ont oublié qu’ils régnaient par la grâce de DieuPer me reges regnant. Lorsqu’au contraire la société se trouvait constituée sur le principe catholique, un changement de roi était un événement sans doute, mais nullement une cause de trouble et d’effroi pour les honnêtes gens. Le roi est mort, vive le roi ! s’écriait le héraut, et bientôt le deuil au dehors du palais se changeait en réjouissances publiques.

« L’organisation sociale reposant sur le respect de l’autorité et la justice n’avait rien à craindre du trépas de son roi, parce que le nouveau prince avait, pour se diriger ou se maintenir, l’exemple de ses prédécesseurs et la médiation salutaire du souverain pontife, protecteur né de tous les droits. »

D’abord, le principe d’autorité n’a rien à faire avec la justice, si ce n’est pour la détruire.

C’est au nom de ce principe que toutes les persécutions, tous les despotismes, toutes les barbaries se sont donné libre carrière.

Ensuite, puisque le Nouveau-Monde nous ramène encore à la question tant de fois débattue, si ce n’est en Canada, de la séparation de l’état et de l’Église, je vais l’y suivre.

Je ne rirai pas aujourd’hui, lecteurs ; j’ai un tableau effrayant à faire. Dans notre pays, il ne suffit pas de rire, il faut surtout enseigner. L’histoire est la grande école ; c’est elle qui est l’institutrice des hommes. « Elle est la première des philosophies, » dit Byron. Avec elle j’entre dans l’exposé de cette question horrible dont chaque étape est marquée par un massacre, par une extermination de peuples entiers.

Quel a été le résultat le plus éclatant, le produit naturel engendré par la réunion de l’État et de l’Église, ou plutôt par l’assujettissement de l’État à l’Église ? Ce sont les croisades.

Le dépeuplement des Flandres par Philippe ii a été une croisade contre les protestants qui s’affranchissaient du joug de l’Espagne.

La Saint Barthélémy a été une croisade.

Les Dragonnades ont été une croisade.

Dernièrement enfin, on a appelé croisés les jeunes Canadiens qui sont allés défendre un pouvoir impuissant à se maintenir lui-même contre la réprobation du monde civilisé.

Si, malgré l’énormité de la tâche, j’entreprends aujourd’hui de passer en revue ces pages pleines de sang, ce n’est pas seulement pour la leçon qu’elles contiennent en elles-mêmes, mais c’est avant tout pour l’analogie frappante qu’elles offrent avec le Canada.

C’est la comparaison qui éclaire, c’est par le rapprochement que l’on juge.