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Le 19 octobre 1208, Innocent iii écrivit ces mots :

« Le roi de France devra faire peser sur le comte Raymondvi le poids de sa royale colère, le chasser de ses châteaux et de ses villes, en exterminer les habitants et les remplacer par des catholiques. »

Raymond vi était comte de Provence, de cette Provence qui était le pays le plus civilisé de l’Europe, dit Augustin Thierry, le pays de la belle langue romane qui n’est pas encore morte, le pays des troubadours, des mœurs pastorales, de l’harmonie.

La Provence avait des institutions municipales ressemblant à celles des grandes communes italiennes ; elle imitait leur liberté, et une complète égalité régnait entre les nobles et les bourgeois. Elle avait la plus belle littérature du monde, et son idiome littéraire était classique en Italie et en Espagne.

Vers la fin du douzième siècle, elle avait adopté des opinions nouvelles tant soit peu éloignées du dogme catholique ; l’Église, alarmée de voir croître cette hérésie qui infectait le clergé comme le reste de la population, résolut de la détruire en ruinant l’ordre social d’où provenait son indépendance d’esprit.

Innocent iii entreprit cette réforme et prêcha la croisade.

On va voir ce que le bras séculier, armé par l’autorité spirituelle, fit de cette noble contrée qui était le foyer de l’art au moyen-âge et qui fut le berceau de la civilisation française.

À peine Innocent iii a-t-il parlé que les moines cisterciens envahissent aussitôt le Languedoc, promettant des indulgences, la rémission de tous les péchés commis et à commettre, et les dépouilles du midi qui était représentées comme une riche proie.

Alors, barons avides, cotereaux, serfs en rupture de ban, tout ce qui vivait de pillage et de violence, prit la croix.

Les évêques catholiques entretiennent des bandes de routiers pour percevoir les dîmes et rançonner leurs ouailles.

« Ils aiment les femmes blanches, le vin rouge et les beaux habits, » dit un trouvère.

« Faux clergé, s’écrie le troubadour Bertrand Charbonnel, mensonger, traître, parjure, larron, débauché, mécréant, tu fais tous les jours tant de mal que tu as mis tout le monde dans l’erreur. Jamais saint Pierre n’eut capital d’argent en France, jamais il n’eut bureau d’usure. Il tint au contraire droite la balance de loyauté. Vous ne faites pas de même, vous qui pour de l’argent prononcez des interdictions, absolvez, condamnez ; auprès de vous, nul sans argent ne trouve de rémission. »

Le clergé répondait par des accusations d’hérésie.