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« Le divin maître, pendant deux ans et demi, me favorisa de cette vision ; maintenant il m’en accorde une bien plus élevée dont je parlerai peut-être dans la suite.

« Je contemplais cette beauté souveraine, cette bouche si belle et si divine, fortunés moments !

« Souvent il me regarde avec tendresse ; mais mon âme ne peut soutenir la force de ce regard, elle entre dans un ravissement sublime.

« Je me sentais embrasée d’un très ardent amour de Dieu ; je me sentais mourir du désir de le voir. Les transports de cet amour étaient tels que je ne savais que devenir ; mon cœur était près d’éclater, on m’arrachait l’âme.

« Ô mon adorable maître ! vous me donnez les plus tendres témoignages de votre amour par une espèce de mort délicieuse.

« Le ravissement l’emporte de beaucoup sur les grâces qui n’affectent que l’âme.

« Dans le ravissement, Dieu veut que le corps lui-même vienne à se détacher absolument… l’intimité de ce divin commerce…

« Quel spectacle qu’une âme blessée par cette flèche céleste et consumée d’amour !

« Cette ardeur qui la brûle vient de l’amour que Notre Seigneur lui porte, c’est de ce brasier qu’est tombée l’étincelle qui l’embrase tout entière.

« Oh ! combien de fois, livrée à ce suave tourment, me suis-je souvenue de ces paroles de David :

« Comme le serf soupire après une source d’eau pure, je soupire après vous, ô mon Dieu !

« Le corps perd tout mouvement ; on ne peut remuer ni les pieds ni les mains ; si on est debout, les genoux fléchissent.

« Les yeux demeurent fermés, quoiqu’on ne voulût pas les fermer.

« L’âme semble quitter les organes, la chaleur va lentement, s’affaiblissant avec une suavité et un plaisir inexprimables.

« Il est impossible de résister à cet attrait ; il fond sur vous avec une impétuosité si soudaine…

« Ce ravissement de toutes les puissances est très court !!!…

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

« Ensuite se fait sentir le tourment de rentrer dans la vie.

« La faible nature éprouve à ce moment si délicieux je ne sais quel effroi dans les commencements.

« Il faut que l’âme accepte à l’avance tout ce qui peut arriver, qu’elle s’abandonne sans réserve entre les mains de Dieu et se laisse conduire où il veut.

« Une grande crainte, mêlée d’un très ardent amour qui s’augmente en voyant jusqu’à quel excès Dieu porte le sien ; non content d’élever l’âme jusqu’à lui, il veut élever aussi ce corps mortel.