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Dépêche spéciale au Pays :

« Québec, 22.

« À la Chambre, aujourd’hui, M. Marchand a présenté une pétition de Canadiens-français de différentes parties des États-Unis, exposant avec quel intérêt ils ont suivi les mesures des diverses législatures du Dominion sur la colonisation et l’immigration, et leur désir de retourner au Canada, et demandant au parlement de Québec de leur en procurer le moyen en leur accordant les mêmes avantages qu’aux immigrants européens, et en développant l’agriculture, les manufactures et les ressources industrielles de la province. (Applaudissements). »

Ils ne demandent que cela ; revenir dans leur patrie à la même faveur que des étrangers, y trouver le moyen de vivre comme partout ailleurs.

Ils se souviennent, ces émigrés de la détresse, qu’ils eurent un berceau, un foyer, des frères et des amis. Mais l’âtre, l’hiver, était froid et triste ; ils étaient trop nombreux autour de la table paternelle, et lorsque le printemps venait découvrir le maigre enclos où leurs pères avaient trouvé l’abondance, eux regardaient avec angoisse les étroits sillons où, l’automne, ils avaient semé leurs derniers grains et ils détournaient la tête en disant : « non, il n’y en aura pas assez pour nous tous. »

Eh bien ! ce champ amaigri, ce foyer attristé, ce toit qui gémit et qui tremble, l’hiver, sous le vent qui balaie les neiges entassées, ils voudraient le revoir. Ils ne l’ont pas emporté avec eux dans l’exil ; vingt ans de souvenir sont là, et le souvenir c’est la moisson du cœur.

Mais pourquoi reviendraient-ils, s’il leur faut fuir encore ? Pourquoi venir voir leur toit qui s’écroule, s’ils ne peuvent le relever ? Que viendraient-ils faire sur ce champ que nulles sueurs ne fécondent plus ? Et où trouveraient-ils à respirer cet air puissant et libre qui soulève la poitrine avec l’espérance ?

Être si pauvre dans un pays si jeune et si riche ! Avoir tant de misère là où il y a tant de force et d’avenir !

Ah ! restez, restez dans l’exil. L’exil ! non. L’Amérique n’est pas une terre étrangère pour les vaillants. Là, pour une idée, pour un mot vrai pour une parole indignée, vous ne voyez pas s’ameuter autour de vous la noire cohorte des vautours cléricaux qui vous pose le pied sur la conscience, et la déchire quand elle ne peut l’étouffer.

Là, vous êtes des hommes, voudriez-vous venir ici pour être des esclaves ?

Voyez ces campagnes ensevelies l’hiver, arides l’été, ces colonies perdues dans les déserts du nord, sans chemins, sans communications, où nulle voix n’arrive porter l’espérance, d’où nulle voix ne part pour redire nos misères.