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Ils avançaient fiers, nobles, droits comme ces palmiers du désert dont aucun souffle n’émeut la silencieuse couronne.

L’un, impétueux comme Achille, faisait des carambolages qui confondaient les esprits en enlevant les cœurs.

L’autre, calme, penseur, profond comme la mer qui balance ses abîmes, songeait.

Il regardait ses billes immobiles, et mesurait d’un regard d’aigle les angles qui menaient aux poches.

Soudain, il saisit son arme, cette arme que les dieux, dans un jour néfaste, donnèrent à l’homme pour causer tant de malheurs.

Il la brandit dans l’espace, l’abaisse, ajuste et, frappe.

La bille part, vole, siffle, bondit, atteint sa compagne impatiente, la pousse et l’envoie mourir dans la poche, tombeau d’un instant.

Il la reprend encore, et fait trois cents points.

Un silence de mort règne sur la foule compacte ; les bouches ne respirent plus et les narines, à force de se dilater, finissent par couvrir tout le visage.

C’est alors que le peuple canadien, à jamais déshonoré, fut sur le point d’être foulé aux pieds par l’étranger victorieux.

On vit des têtes superbes s’incliner sous le poids de la honte, et des hommes sans reproche et sans tache murmurèrent que la mort était préférable à une telle calamité.

Mais Foster s’arrête, et Dion recommence.

Tel un gauchos des pampas Argentines qui a laissé sa cavalcade le devancer au loin sur la plaine ondoyante, la regarde un instant, atterré de la distance qui le sépare d’elle, puis s’élance, piquant des deux son coursier rapide qui dévore l’espace, et bientôt il a rejoint ses compagnons oublieux.

Tel Dion, se réveillant comme d’un rêve affreux où il sentait trois cents billes lui courir dans la tête, saisit à deux mains sa queue de champion, et vise.

Chaque coup porte ; on sent la victoire chanceler ; la fortune toujours perfide lui sourit.

Lui, de plus en plus terrible, frappe à coups redoublés ses billes éperdues ; les bandes retentissent, les poches se gonflent, et des frissons courent parmi les spectateurs haletants.