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À l’opposé, dort un peuple tranquille, réveillé seulement par le son des cloches, couché dans des masures qui ont été bénies, séjour marqué çà et là de quelques rares édifices qui sont des couvents, des presbytères, des écoles de frères ou des églises.

Le peuple qui est là, c’est le peuple canadien. Il est paralytique depuis cinquante ans. Ne le réveillez pas.

Il est couvert de plaies. Si vous en touchez une pour la guérir, la douleur lui arrachera des cris farouches et il s’élancera sur vous, son sauveur, comme sur un ennemi mortel.

Veut-on savoir à qui appartient ce quartier tout entier, en bloc, ce quartier qui est la moitié de la ville, à qui appartient l’air même qu’on y respire, à qui les âmes qui y végètent ? Tout cela appartient à sa Grandeur, à sa Grâce Monseigneur l’Évêque de Montréal.

Les journaux sont assez nombreux, à peu près trois par lecteur. Ce sont en général des feuilles d’annonces, les hommes ayant plus besoin de savoir où s’acheter des faux-cols et des chaussettes que de s’instruire.

À Montpellier, petite ville du Vermont d’à peu près 15,000 âmes, les habitants, sensibles aux sarcasmes du Nouveau-Monde, qui trouve les Américains le peuple le plus ignorant et le plus dégradé de la terre, ont résolu d’apprendre.

Aussi on y voit des journaux qui ont autant de matière que quatre ou cinq grands journaux de Montréal réunis, et fort peu d’annonces ; les abonnés seuls sustentent ces journaux.

Mais les Canadiens, qui ne connaissent pas leur ignorance, n’éprouvent pas le besoin de s’instruire.

Qu’apprendraient-ils ? Ils savent faire leur salut.

Ils ignorent le chemin que les autres peuples ont fait dans la science et les arts, et croient que cela ne les regarde point.

Aussi quand l’un d’eux a découvert quelque invention ingénieuse, quelque procédé nouveau, quelque perfectionnement industriel, ils disent : « Tiens, c’est curieux, c’est pas mal cela, pour un Canadien ! »

Race d’hommes à part, ils perpétuent l’esclavage de l’intelligence dans un pays où brillent toutes les libertés.