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« Votre nom ? » lui dit-il brusquement, ne sachant pas qu’il a affaire à un homme riche.

— Ignace, par la grâce de Dieu.

— Votre âge ?

Ici Monseigneur est dans un embarras manifeste.

Mais se rappelant aussitôt qu’il doit être inspiré : « Cent quatre-vingt deux ans, » répond-il.

Ébahissement du fonctionnaire qui se traduit par des signes d’incrédulité, car il faut savoir qu’on ne croit jamais qu’aux miracles qu’on ne voit pas.

« Et pourquoi pas, cent quatre-vingt-deux ans ! » s’écrie l’évêque avec une sainte indignation. « Voici saint Ignace qui en a 350, et qui a fait toute la route à pied. »

Le fonctionnaire, qui a un respect inné des saints, s’incline, puis continuant :

« Votre profession ?

Collecteur.

« Ce noble étranger doit être dans les ordres religieux, » murmure instinctivement le douanier.

— Votre dernière résidence ?

— Le tronc du Gésu.

— Rien à déclarer ?

— Mon indignité.

— Connu. Pas autre chose ?

— Combien apportez-vous ?

— Trente mille piastres.

— Trente mille piastres ! Oh, alors, entrez, passez vite. Mille pardons de n’avoir pas reconnu plus tôt vos mérites. Vous devez être évêque sans doute… non, en effet, vous êtes collecteur, collecteur m’avez-vous dit ? au fait, ça se ressemble. Entrez : combien vous devez être désiré par nos saints cardinaux et monsignors !!!… ”

Ici, le fil télégraphique ayant été coupé par le vol indiscret d’un séraphin aux ailes d’azur, la dépêche se trouve forcément interrompue.

Un indiscret me communique le fait suivant qui fera voir que les représentants de Dieu ici-bas ont résolu de mettre le carême à profit.

Ne pouvant, durant ce temps de mortifications, spéculer sur les moutons et les dindes, ils se rejettent sur le beurre et l’ont déjà fait monter à un prix fou qui sera maintenu encore cinq semaines.

À moins que les gens finissent par comprendre qu’il est tout à fait