Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/300

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
300

D’ailleurs, pour être sûr de parvenir au but, il faut chercher à le dépasser. Quand on ne veut que l’atteindre, il est rare qu’on ne reste pas en deçà.

Il faut vouloir le plus pour avoir le moins.

Jeunes gens, soyez extrêmes. Ne redoutez pas ce mot. C’est dans l’extrême seul qu’on touche le vrai ; la vérité n’est jamais à mi-chemin.

Nous vivons dans un pays où nous n’avons pas le choix des moyens, parce que le mal est trop avancé pour qu’on fasse l’essai de différents remèdes ; nous n’en avons pas le temps ; arrachons la dent qui pourrit ; lui mettre un calmant, c’est vouloir en souffrir encore bien plus le lendemain.

Si nous avions affaire à une population qui eût quelque teinte des choses publiques, si des arguments pouvaient arriver jusqu’à elle, s’il y avait conflit de vues et d’opinions sur la manière d’atteindre le but, on pourrait varier les expériences ; mais en présence d’un peuple qui se tient devant une idée comme une bête à cornes devant un chemin de fer, il n’y a qu’un moyen, c’est de le prendre par le chignon du cou, le jeter dans le char à bétail, et maintenant file.

Je serais bien curieux de savoir ce qu’ils pensent aujourd’hui, tous ces libéraux de la vieille école, la plupart libéraux mais catholiques, nuance de pain d’épice, qui, lorsque je parus avec la Lanterne, s’écrièrent tout d’une voix : « Il est donc devenu fou, Buies, à quoi songe-t-il ? En Canada, faire du radicalisme ! Attaquer le taureau par les cornes (taureau veut dire prêtres) ! Après cela, s’il veut se faire pendre, c’est son affaire ; dans tous les cas, il ne se rendra pas au cinquième numéro. »

Je ne suis pas encore pendu ; voici le No 26, et comme un dogue j’ai sauté au nez du taureau, et je m’y tiens.

Que dites-vous d’un médecin qui écoute son malade ? Voilà cependant ce qu’était le libéral de la vieille école.

Mais il écoutait encore moins les répugnances du public que ses propres craintes. Il prenait volontiers sa faiblesse pour le malheur des temps.

N’osant affronter l’ignorance publique, il la caressait. Il avait mille petits moyens détournés, et lorsque parfois le hasard le faisait réussir, il croyait à un grand pas fait par l’opinion publique — oui, il