Page:Buies - La lanterne, 1884.djvu/313

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
313

Les uns diront que nous avons de magnifiques mines de fer et de cuivre inexploitées ; d’autres, que nous avons de puissants cours d’eau qui n’alimentent aucune manufacture ; d’autres, que nous avons des espaces infinis sans culture, sans communications, qu’il est impossible de coloniser ; d’autres, que nous perdons incessamment toute notre population virile, et que les quelques industries qui restent encore sur pied s’effacent de jour en jour : d’autres,… eh ! ce sont là des lieux communs.

Mais votre âme, mes amis, votre âme, vous n’y pensez donc pas ? Si vous avez le malheur de faire vivre votre famille, vous perdez votre religion. L’abîme est là tout ouvert devant vous, vous voulez vous y jeter !…

Faites de l’argent en Canada si vous le pouvez, c’est très-bien. Au moins cet argent, vil métal, est donné à l’évêque, aux jésuites, aux curés et aux sœurs, et par là il est purifié. Mais aux États-Unis, vous vivrez avec, quelle horreur !

Le bon Dieu n’a qu’un pays au monde où il perçoive encore des rentes, et vous voulez le lui ôter !

Qu’est-ce que ça fait que vous ayez des cours d’eau qui ne servent à rien ? Ces cours d’eau ont été mis là pour couler, voilà tout.

Quand bien même vous auriez des mines !… la belle affaire ! Les mines sont dans la terre, il ne faut pas y toucher. Si Dieu avait voulu qu’elles fussent pour l’homme, il les lui aurait mises dans la poche tout bonnement.

Des industries et des manufactures ! mais quand vous serez sur votre lit de mort, hein !…

Écoutez le conseil du sage.

« L’univers contient dans son sein une quantité infinie de richesses. Mais Dieu ne prévoyait pas que l’homme voudrait un jour les exploiter.

Donc, si Dieu n’a pas prévu cela, passez-vous en. »

Je promène mon regard sur notre petite planète errante dans l’immensité.

Cette planète est peuplée par quatorze cents millions d’êtres humains : sur ces quatorze cents millions, il y en a tout au plus 300 millions de catholiques.

Ça ne paie pas.

Dieu a encore fait là une gaucherie.

Je distingue un vaste continent ouvert comme les ailes d’un aigle. Placé entre deux mers profondes, il semble prêt à s’élancer pour les franchir. Il se soulève, son sein fermente, et on le sent qui va prendre son élan. Pour lui l’espace n’est qu’un pas, et le globe que ce qui peut tenir dans sa serre.