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Vous croyez que vous allez me vaincre, moi, comme vous avez fait de tant d’autres qui n’ont pas eu le courage de vous braver et qui vous croyaient trop forts, tandis qu’ils n’étaient, eux, que trop faibles.

Vous croyez que les moyens ordinaires d’intimidation, que les persécutions, que la pauvreté, que les intrigues dans les familles, que l’exécration de mon nom, que toutes ces lâchetés de la force réussiront contre moi… non, non, jamais !

Je suis prêt à tout, j’ai fait le sacrifice de tout, de mon repos, de mon avenir pour dire la vérité, et je la dirai.

Venez maintenant m’arracher ma Lanterne. S’il n’y a plus de libraires pour la vendre, il restera toujours un homme pour l’écrire et un public pour la lire.

Oui, on lit la Lanterne ; ce qui prouve que si vous avez encore assez de force pour captiver les gens par l’intérêt, vous n’en avez plus aucune sur la conscience, sur le sentiment de la vérité qui pénètre la foule.

J’ai reçu ces jours-ci une lettre d’une vieille parente, digne femme qui m’a élevé, qui m’a toujours chéri comme son enfant.

Elle me supplie de discontinuer la Lanterne, au nom de ma famille, de ma réputation, et, pour prix de mon sacrifice, elle m’offre tous les avantages matériels que je suis en droit d’attendre de son affection : mais elle me menace de rompre toute relation avec moi si je continue à publier la Lanterne… Eh bien ! soit.

Qu’on m’enlève toutes mes espérances, qu’on me réduise à la pauvreté la plus amère, que mon pain dur soit arrosé de larmes, tant que j’aurai un souffle de vie, on ne m’enlèvera jamais ce qui est au fond de mon âme, la haine de l’imposture.

Je vous fais la guerre ouverte, je m’expose à vos coups ; vous me faites la guerre des embûches, des intrigues ; c’est bien ! mais vous ne me vaincrez pas.

Il serait trop beau, vraiment, que vous eûssiez encore ce triomphe ; que, par ma défaite, le libéralisme fût rejeté encore de dix années en arrière.

Non, vous ne l’aurez pas ce triomphe.

S’il faut une victime aux idées libérales, que cette victime soit moi. Que mon nom soit flétri, j’y consens, mais que le peuple soit enfin arraché à l’odieuse domination, à la succion cléricales.

Vous aurez pour vous la calomnie et l’ignorance. Mais dans cette guerre que j’ai entreprise, acceptant d’avance le plus horrible destin,