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j’étendrai partout mon champ de bataille ; j’en appellerai aux hommes de tous les pays. Ah ! vous n’étoufferez pas la presse du monde.

Voyez ; vous tombez partout. À Rome, vous n’avez qu’une misérable armée de 15,000 mercenaires, recrutés dans toute la catholicité. Où est-il donc le temps des croisades, où 200,000 hommes allaient à mille lieues combattre pour le St Sépulchre ? Aujourd’hui, vous n’avez pas 15,000 aventuriers pour défendre le siège même de votre empire !

Pourquoi ce pays est-il mort ? Pourquoi n’ose-t-il respirer ? C’est parce que le chancre de l’hypocrisie ronge toutes les faces. Tout le monde s’observe, mesure chacun de ses mots pour ne pas se compromettre aux yeux des prêtres.

Cela commence au collège où les élèves apprennent à rapporter les uns sur les autres, puis cela se continue dans les institutions fondées par le clergé, dans les Unions, dans les corps organisés sous son contrôle, et, de là, dans la société tout entière qui est un fouillis de tartuffes.

On ne vit pas en Canada, on se regarde vivre les uns les autres.

Aussi, tout languit, parce qu’on n’a pas l’indépendance d’esprit et de caractère nécessaire aux grandes entreprises. On n’ose pas être libre dans son commerce, parce que le clergé veut avoir la haute main sur tout.

Un libraire n’est pas libre, mais il vend dans l’arrière-boutique ce qu’il n’étale pas dans ses vitrines ou sur ses rayons. Un instituteur n’est pas libre ; une école ne peut fleurir si le prêtre n’en est pas reconnu comme le guide ou l’oracle.

Voyez le Haut Canada qui est loin d’avoir les mêmes avantages matériels que nous. Comme il prospère ! Il y a 30 ans, il n’avait pas la moitié de notre population ; aujourd’hui, il en a presque le double. C’est que les hommes y sont libres.

Ici, tout languit, tout dépérit. Nos villes, à l’exception de Montréal, se dépeuplent.

Toi, peuple, tu es pauvre, tu croupis dans la misère ; tu es obligé de fuir ta patrie, tu vois tes enfants te quitter l’un après l’autre. L’hiver, tu ne peux te chauffer ; l’été, tu ne trouves pas d’ouvrage…

« Il faut mépriser les biens de la terre, » te dit-on.

Oui, mais regarde. Vois-tu ce séminaire ? vois-tu ce collège ? vois-tu ces palais épiscopaux, ces palais, entends-tu bien, habités par des hommes qui se disent les successeurs de celui qui n’avait pas une pierre pour reposer sa tête ?