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Le curé consciencieux, infaillible, fait voir à ses bons paroissiens ce qu’il y a d’horrible dans cette mort arrivée tout exprès pour qu’il en parlât (il est bon de noter, en passant, que les curés ne sont plus les représentants ni les serviteurs de Dieu, c’est Dieu qui est leur représentant et leur serviteur ; ils lui font faire tout ce qu’ils veulent). Après une éloquente semonce, le digne curé déclare qu’il ne peut enterrer le mort en terre sainte, mais que, celui-ci ayant été baptisé, il lui mettra seulement la tête dans le cimetière.

Vous voyez que le pauvre diable aurait mieux fait d’être un baptiste, parce que les baptistes se plongent tout le corps dans l’eau en naissant, ce qui lui aurait valu un enterrement in toto corpore.

Mais comme il était catholique, on ne lui mit que la tête dedans.

Maintenant, je me pose cette question. Qu’aurait-on fait à des étudiants en médecine qui, voulant se livrer à une dissection anatomique, — passe-temps utile, sinon agréable — seraient allés prendre le corps de ce malheureux, tout en laissant sa tête dans le cimetière ?

Le corps d’un païen ne saurait être sacré… Encore une preuve de l’embrouillamini qu’apporte la réunion du spirituel et du temporel.

C’est égal. Elle est très-drôle, l’histoire de cet homme qui n’était pas catholique des jambes, ni du ventre ni du dos, mais qui l’était de la tête.

Je le vois arriver devant l’Éternel, au jour du jugement dernier, avec sa tête à la main, la lançant dans le troisième ciel, en faisant avec le reste de son corps une pirouette sublime dans le domaine (Dominion ou Puissance) de Belzébuth, où c’est tout plein de scorpions, de vipères, de serpents venimeux, qui trouvent le moyen de vivre là-dedans, qui y sont sans avoir commis de péché mortel, et de chaudières toutes rouges qui chauffent, depuis la chute de Lucifer, sans pouvoir crever, et de fourches d’un fer encore plus dur que celui de Moisie, parce que le fer de Moisie, chauffé à blanc pendant vingt-quatre heures, se volatilise.

Ce qui me consterne, c’est que les curés de campagne, infaillibles toujours, et éclairés de la lumière d’en haut, n’ont pas prévu qu’il apparaîtrait un jour en Canada, précédant la fin du monde, une Lanterne, rédigée par un antéchrist endiablé, qui se ferait un plaisir diabolique de publier toutes ces jolies petites anecdotes, où il trouve le parfait bonheur.

Le Nouveau-Monde et le Journal de Québec m’invectivent, parce que j’ai écrit au Witness. L’un dit que je fais appel aux protestants et à tous les ennemis du catholicisme ; l’autre que je m’associe, que je m’identifie avec une feuille protestante, célèbre par son fanatisme et par son intolérance.

En faisant un appel aux protestants, j’aurais fait comme le pape, qui vient de leur adresser une longue épître, et n’aurais pu mieux faire ; mais je me permets d’avoir une autre ligne de conduite.