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LETTRES SUR LE CANADA.




TROISIÈME LETTRE.




Montréal, 9 Février 1867.

I


Mon Ami,

J’ai longtemps tardé à vous écrire : j’ai voulu voir et connaître. J’ignorais, hélas ! que le désenchantement, que le dégoût viennent bientôt remplacer la curiosité dans l’examen des sociétés dégradées par le romanisme ; j’ignorais combien il est vrai que tous les vices découlent de l’ignorance, et j’ai ressenti tant d’horreur de cette milice de jongleurs sacrés qui se sont adjugé l’âme humaine comme un hochet ou comme une pâture, que j’ai presque oublié la pitié que je devais aux malheureux qui en subissent aveuglément l’oppression.

Est-ce donc là l’histoire des peuples depuis que les peuples existent ? Les hommes ne se sont-ils réunis en société que pour s’exploiter les uns les autres ? Donc, toujours le privilège. Au peuple, à la grande masse, l’asservissement moral après que les insurrections et le progrès ont détruit l’asservissement des corps ; à quelques-uns la domination, la domination par le préjugé, par le fanatisme, par la misère, par l’ignorance, à défaut de pouvoir politique. Hommes ! il vous faut des jougs à bénir, et des oppressions que votre aveuglement consacre. Vous aimez l’autorité qu’on appelle sainte ; et quand la liberté vient à vous, c’est toujours avec des bras ensanglantés, et comme une furie plutôt qu’une libératrice.

Ah ! je comprends aujourd’hui les excès des révolutions ; je comprends les bouleversements que fait un rayon de pensée franchissant cette masse d’obscurités de toutes sortes épaissies par les siècles ; je le comprends à la vue des abominations qui se commettent tous les jours sur cette terre infortunée du Canada. J’excuse, non plutôt j’absous, ces