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munich

fortes observatrices du même type que ma voisine.

L’obscurité se fait, dérobant à l’excellente dame les tailleurs et les robes de bal qui l’incitent à penser. Une interrogation monte de l’orchestre, chargée de fièvre, de désir, et où, comme avec un soupir immense passe le pressentiment de toute la douleur.

On joue Tristan.

Lorsque le rideau se ferme sur les deux amants, pour qui la réalité extérieure, le passé, l’avenir, sont abolis, et qui restent dans l’univers déserté, seuls avec leur amour, je me hâte de fuir ma voisine. Dans les entr’actes de Tristan, il faut se taire…

Je regagne ma place à la dernière minute. L’aimable dame aurait encore, je le devine, des choses topiques à me communiquer, mais je lui oppose une épaule résolue.

Maintenant, c’est la nuit prodigieuse, pleine du sanglot étouffé des cors. La forêt exhale une fraîcheur pénétrante et des parfums qui éveillent un désir d’infini. Les sublimes phrases passionnées croisent leurs flammes. Un calme dangereux règne, une menaçante solitude où vient expirer le bruit de la chasse lointaine qui trouble la paix nocturne des bois. Là-bas, les bêtes éperdues fuient dans les ténèbres brusquement écartées par la lueur rouge des torches. Et l’épouvante désespérée de ces bêtes qui vont mourir augmente la tragédie du grand amour que la mort guette… Cependant, au sommet du donjon, Brangaine crie que l’heure passe, que rien ne dure des joies humaines…