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ARCHITECTURE ROMANE.

dernières, le chapiteau auquel se subordonne une imitation timide des volutes ioniques, ressemble plus à une sorte de console intermédiaire, qu’a un chapiteau proprement dit. À côté de cette variété apparaît encore, mais à l’état d’exception, le vrai chapiteau occidental, à forme cubique. Enfin les chapiteaux des huit colonnes libres du vestibule, avec leurs têtes de lions et leurs paons d’une beauté tout antique, présentent le caractère d’œuvres étrangères et somptueuses sorties de quelque chantier de Constantinople. Les deux piliers carrés qui se trouvent à l’extérieur du côté sud, et qui viennent d’une église de Ptolémais, sont des trophées du temps des croisades. — Quelques chapiteaux Renaissance ça et là, ajoutés à la suite de restaurations.

Les souvenirs historiques et la fantaisie contribuent à l’effet extraordinaire de l’édifice. Cette république insulaire, unique dans l’histoire du monde, a montré ici ce que, dans les premiers temps de sa plus haute prospérité, elle regardait comme beau, sublime et sacré. Plus tard, elle n’a jamais cessé de respecter cet édifice ; et même à l’apogée de sa puissance (vers 1500), elle s’est bien gardée de la remplacer par une église qui aurait été sans doute une église Renaissance. Saint-Marc était le centre de la ville, de l’État, des flottes qui naviguaient sur toutes les mers, des colonies et des factoreries les plus lointaines ; des liens mystérieux rattachaient à ce monument l’existence tout entière de Venise. Dans les cinq derniers siècles en n’y enterrait plus personne ; cet espace appartenait à tous, c’eût été un privilège exorbitant que d’y ensevelir un particulier. La seule exception faite en faveur du cardinal Giov. Batt. Zeno se produisit à un moment où l’enthousiasme de l’art primait tout (1505-1515).

Comme œuvre architecturale, Saint-Marc, vu de l’extérieur, est assez pauvre et d’une exécution peu habile. Les effets des coupoles se détruisent mutuellement ; la façade est la plus tourmentée et la plus inégale qui soit ; sans lignes dominantes, ni expression de forces. À l’intérieur, il en est autrement. Dès l’abord on le trouvera beaucoup plus grand qu’on ne s’y attendrait d’après l’extérieur ; et cela malgré le revêtement de mosaïques sur fond d’or, qui en général rapetisse les édifices, et malgré le vestibule extérieur que naturellement il ne faut pas compter pour l’effet de l’intérieur. Cette grandeur apparente vient de ce que les membres principaux sont simples au lieu d’être, comme à l’extérieur, divisés en petits motif ; les espaces du milieu sont vraiment grands et d’une seule pièce pour ainsi dire, et comme dans les thermes, ce sont les colonnades intermédiaires qui donnent aux arcs du haut leur ample majesté. Ceux-ci divisent le centre en travées égales, reliées en un seul système où l’alternance des cercles et des demi-cercles prête a l’espace, à la ferme, à la lumière, un rythme irrésistible. Saint-Marc sert à la Renaissance de modèle peur le Saint-Sépulcre à Plaisance, Sainte Justie à Padoue, S. Salvatore à Venise ; et jamais plus beau système n’a été conçu pour une nef d’église. Chaque travée devient en quelque sorte transept ;