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VENISE.

et dans le bas, vues entre les colonnes, les nefs latérales promettent une étendue beaucoup plus grande qu’elles ne l’ont en réalité. Les coupoles (le même enrichissent la perspective et créent un élargissement apparent de l’espace. Mais, de plus, l’éclat sévère et la splendeur des matériaux célèbrent leur plus magnifique triomphe. L’or et les couleurs, non pas recherchés pour eux-mêmes, mais bien mis au service de formes grandes et simples, sont d’une telle harmonie que, dans aucun autre temple, leur langage n’a jamais mieux exprimé la solennité de la demeure divine. Si à Sainte-Sophie l’impression résultant d’un espace unique, immense, est plus solennelle et plus puissante : ici, au contraire, le rythme des coupoles en forme de croix a fait de Saint-Marc une œuvre d’art qui n’a point été dépassée par l’homme. Quel aveugle prétendrait encore fermer à la beauté des matériaux, qui réjouit tant l’œil de l’homme, l’accès de l’architecture ? L’architecture y a droit, tout comme, la couleur dans le domaine de la peinture. L’église n’a reçu qu’au XIVe siècle, par la grande fenêtre ronde du transept méridional, le jour qu’elle a maintenant ; auparavant elle était assez obscure, à la façon des églises byzantines ; pendant les services divins les plus importants, elle était sans doute éclairée par un grand nombre de lampes. Il ne faut plus s’étonner dès lors si, par ses effets proprement pittoresques, Saint-Marc est devenu le sujet favori des peintures d’architecture. Cette impression de pittoresque provient des perspectives mystérieuses à brusques alternances de lumière[1], des ors estompés des surfaces sphériques et cylindriques, et du coloris sévère de tous les objets plastiques. Ajoutez-y enfin le prestige de l’histoire et de l’imagination, — lequel est ici un collaborateur tout-puissant[2].


Ni Venise ni les environs n’offrent un monument pareil. Il n’y avait, en effet, qu’un seul Palladium politique et religieux de Venise, il n’y avait qu’un seul corps de l’Évangéliste.

Parmi les églises des îles environnantes, nous avons déjà mentionné plus haut (p. 14 A ; 17 B) celles de Torcello. Dans la cathédrale (S. Donato) [a] de Murano, église à colonnes et à voûtes du XIIe siècle avec transept sur piliers, la décoration intérieure a visé le plus possible à imiter le luxe et l’éclat de Saint-Marc ; les colonnes sont en marbre grec, ainsi que les mosaïques des pavés. Mais à l’extérieur l’abside montre comment ce style cherchait à suppléer par des briques au revêtement de marbre.

Parmi les édifices civils de ce style, le plus important est un vieux palais (XIe siècle ?) appelé Fondaco de’ Turchi [b], maintenant Museo

  1. Les couleurs sombres et saturées de la plupart des pierres seraient sans reflet si leurs surfaces n’avaient pas un poli de glace tout particulier.
  2. Tout récemment la grande crypte [c] sous le chœur de l’église Saint-Marc est redevenue accessible ; elle suit le plan de l’édifice et renferme une curieuse construction avec des grilles de marbre des premiers temps chrétiens.