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ARCHITECTURE ROMANE.

Correr ; une longue loggia à pleins cintres exhaussés, appuyée sur le portique à colonnes de l’étage inférieur, lui donne une grande apparence. Ce n’est que depuis 1621 que l’édifice servit de bazar aux Turcs. Dans la restauration récemment achevée, il ne s’est presque rien conservé de l’ancien édifice.

Citons en outre le Palais Farsetti [a], l’hôtel de ville actuel, près du Rialto ; au premier étage, une rangée de colonnettes doubles sur toute la longueur ; au rez-de-chaussée, une galerie à quatre colonnes dont les bases sont des chapiteaux renversés. (À l’intérieur un bel escalier en style baroque.) — Le Palais Loredan [b] (vers 1000), contigu au premier, est encore plus important ; il a des incrustations de couleur. — Un petit palais situé entre les palais Micheli et Civran a de ces petites fenêtres décoratives que l’on voit à Saint-Marc. Des palais de moindre importance et des ruines, dispersés sur les bords du grand canal et en d’autres endroits de la ville.

L’ensemble de ces constructions nous aide en quelque mesure à reconstituer par la pensée la Venise de la quatrième croisade (1202).


C’est entre Venise et la Toscane, dans la Lombardie, et tout le long de la via Æmilia jusqu’à la mer Adriatique, que se forma, un peu sous l’influence du Nord, ce style d’architecture religieuse souvent nommé tout court style lombard. Il serait très erroné toutefois d’étendre cette dénomination, comme on l’a déjà fait, au style roman en général ; le Nord a certainement plus donné ici qu’il n’a reçu, et ses constructions sont exécutées avec beaucoup plus de sévérité que ne le sont celles de la Lombardie ; il développe avec beaucoup plus de suite et de force l’élément essentiel, la voute sur piliers à colonnes engagées. — À un certain égard pourtant, les architectes italiens conservent leur originalité, à savoir dans la construction des façades. Dès le début, l’architecture romane du Nord avait placé, aux coins de l’église, des tours (au nombre de deux, de quatre), comme parties essentielles de l’édifice ; depuis l’exemple donné par des architectes normands dans la seconde moitié du XIe siècle, les tours devinrent même le motif principal de toutes les façades d’églises un peu importantes. En Italie, au contraire, la tour demeura un motif secondaire et il fallut pour la façade recourir à un autre mode de décoration. Nous avons vu quels effets les Toscans cherchaient dans l’emploi du marbre des colonnes étages ; leur façade est toujours l’expression aussi fidèle que possible de l’église même, c’est-à-dire d’une nef centrale élevée et de nefs latérales plus basses. Dans la Haute-Italie, au contraire, la façade n’est trop souvent placée devant l’église que comme un prétexte à décorations tout à fait arbitraires ; elle s’élève sans retraite, comme si les trois nefs avaient la même hauteur[1] ; des gale-

  1. Nombre de ces églises romanes sont en réalité des églises à galeries, dont les nefs sont de même hauteur : elles expliquent l’origine des façades dont il est ici question.