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ARCHITECTURE GOTHIQUE.

régions plus retirées, n’a jamais été abandonné. Ensuite, comme on n’empruntait les détails propres au style gothique qu’à contre-cœur et en les faussant, même pour les édifices importants, aucune corniche, feuille ou pinacle ne se développa avec autant de netteté ou de caractère que dans le style gothique du Nord. Si nous ajoutons que les Italiens, même en conservant les détails, abandonnèrent bientôt l’ogive, il ne nous paraîtra pas étrange que leurs églises du XIVe siècle ne se distinguent parfois que peu ou point d’églises de beaucoup antérieures.

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L’invasion des formes architecturales gothiques du Nord fut fatale et malheureuse, si l’on veut, pour l’art italien ; mais ce ne fut un malheur que pour les architectes maladroits, qui, même sans elles, n’auraient guère su se tirer d’affaire. Si le Baptistère de Florence, par exemple, montre le XIIe siècle s’acheminant vers une beauté harmonieuse à l’aide de formes qui imitent l’antique, il est clair dès lors que, sous la décoration gothique qui y pénétra peu de temps après, le sentiment fondamental reste intact et achève même sous ce voile de se développer admirablement.

Lee premiers architectes gothiques en Italie furent des Allemands. Il est frappant et presque inexplicable qu’ils aient pu d’une façon si rapide et si complète transformer d’après les principes du Midi le style apporté du Nord. Et c’est précisément l’essentiel, l’âme même du gothique septentrional qu’ils ont sacrifiée : à savoir l’église conçue comme un système de forces ascendantes, cherchant dans cet élan leur développement et leur issue. Ils y ont substitué le sens méridional des espaces et des masses, — qui d’ailleurs, chez les Italiens formés à leur école, apparaît plus clairement encore.

Il n’y a à ma connaissance qu’une seule exception : c’est le pourtour du chœur de S. Lorenzo [a] à Naples, construit au temps de Charles d’Anjou et certainement sous l’inspiration d’un architecte français amené par ce prince[1]. L’imagination semble pour un instant transportée dans le Nord à la vue de cette galerie légère et élevée avec ses chapelles rayonnantes ; les formes pourtant n’ont pas la pureté du gothique original, et le chœur lui-même a été modernisé. (Il en est malheureusement de même de la jolie salle du chapitre.) S. Domenico maggiore [b] se rattache au style du Nord, du moins par le rapprochement des piliers et la forme aiguë des ogives. (L’intérieur est modernisé d’une manière affreuse.) Il en est de même pour S. Pietro à Majella [c], bien que d’une manière moins frappante pour l’Italie. Le haut de la cathédrale (l’extérieur du

  1. Quoique Vasari désigne comme l’architecte un certain Maglione, Florentin et élève de Nicc. Pisano.