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VENISE.

plus loin, un Jacopo Sansovino lui-même dut s’y plier. Seul, Andrea Palladio résista avec succès.

Dans la Venise de la première Renaissance, rien ne rappelle les grandioses architectures des basiliques de Brunellesco, ni la puissance sévère des façades des palais florentins ou siennois, ni l’ampleur des galeries de la Toscane et de Rome. L’art n’était pas assez maître de l’espace ni assez sûr du sol. La Venise d’alors, il est vrai, si elle est économe de l’espace, n’en est que plus riche en tout ce qui regarde la décoration de l’architecture privée. La composition au sens élevé du mot, l’art des proportions, y est généralement nulle, au moins dans les églises et les palais ; mais l’arrangement est habile, et la fantaisie y a une richesse que nul scrupule ne retient. L’extérieur des églises et des palais est revêtu de deux, trois ordres de pilastres, sans que l’architecte prenne seulement la peine de donner aux étages supérieurs plus de légèreté, ou de marquer certain contraste dans les surfaces (S. Maria de Miracoli, façade latérale de la Scuola di S. Marco, etc). Sur les façades principales, il est vrai, les pilastres sont ornés d’arabesques ou de niches, cannelés, incrustés au centre de disques de marbre rouge ou vert, etc. ; partout ailleurs ils ont ce profil de cadre profond qui leur enlève le caractère de supports, de substituts des colonnes, pour les transformer en simple bordure d’encadrement autour des surfaces murales. À peine le degré de rapport si nécessaire entre la décoration des pilastres et celle des frises est-il soupçonné. Pour les couronnements des façades d’églises, l’art avait sans cesse recours aux formes rondes diversement agencées ; l’architecture vénitienne y était habituée depuis la construction de Saint-Marc, et elle y avait fait appel à l’époque du gothique d’une manière souvent assez baroque. — Dans les façades de palais, de même, l’ancienne ordonnance fut maintenue (v. p. 70), bien qu’avec des formes nouvelles. Le bel effet des loggie ouvertes au milieu des étages principaux est le mérite, non pas du style nouveau, mais d’une ancienne tradition. Les surfaces libres entre les fenêtres, les portes, les corniches et les pilastres, furent ornés de disques en pierres de toute couleur dans un ordre symétrique ; dans les églises, il s’y ajouta des niches, des sculptures, etc.

À l’intérieur, les palais sont pour la plupart altérés par d’autres constructions ; tout ce qui, en fait d’escaliers et de salles, est de quelque effet, date généralement d’une époque plus récente. Le rez-de-chaussée n’est jamais traité franchement soit comme soubassement, soit comme étage propre, servant de base à l’édifice entier ; cette indécision enlève naturellement tout caractère architectonique à la galerie inférieure qui, pourtant, malgré l’état de ruine et de délabrement, garde parfois un intérieur très pittoresque. Il n’y a pas de cours ; ou s’il y en a, elles n’ont guère d’importance[1]. — À remarquer encore : la belle tour avec escalier tour-

  1. Citons cependant le Pal. Pisani près du Campo S. Stefano. Il ne possède, il est