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PREMIÈRE RENAISSANCE.

ou moins attachées aux formes gothiques. Le chœur de S. Zaccaria [a] fut commencé en style gothique (1457) presque à la même époque où déjà Mantegna peignait sa Sainte Euphémie. Les encadrements d’autels sortis des ateliers de Murano restent gothiques jusqu’après 1450 ; Giovanni et Bartolomeo Buon cisèlent des statues dans le style du XVe siècle pour des édifices dont l’architecture demeure gothique. Leur Porta della Carta [b] dans le Palais des Doges et toute la galerie jusqu’à l’escalier des Géants (1440-43) montrent ce style à son déclin et pourtant encore d’une belle facture ; le feuillage mouvementé de la dernière époque gothique forme déjà des frises conçues dans l’esprit du siècle nouveau[1]. — Même le tombeau du doge Franc. Foscari [c] (mort en 1457) dans le chœur des Frari (à droite) est encore gothique ; il est l’œuvre de la famille de statuaires Rizzo. Dans les stalles de nombre d’églises, le style gothique se maintient jusque vers 1470 (v. plus loin). Le portail de S. Giovanni e Paolo [d] appartient également à ce gothique tardif, reconnaissable au luxe du feuillage.

Mais lorsque vint la Renaissance, elle trouva dans la riche Venise un terrain tout particulier. L’architecture y eut à sa disposition les matériaux plus précieux dont elle avait besoin pour la décoration ; à ce dernier égard du moins, il n’est plus question ici de briques ni de stuc. L’introduction du style nouveau coïncida justement avec l’époque de la plus grande puissance de la république et de la richesse de son aristocratie. Le rôle de la Renaissance parut etre d’imprimer à la cité des lagunes un caractère d’éclat, de luxe et de splendeur. Il ne lui manqua que l’space et des architectes véritablement grands[2].

Une architecture sur pilotis ne saurait avoir d’elle-même un libre et grand développement. Les seuls édifices conçus avec quelque grandeur, les églises de S. Giovanni e Paolo et S. Maria de’ Frari, étaient des créations tout à fait étrangères ; le palais des doges, quelque étendue que soit la partie ancienne (antérieure), trahit un architecte grandi sous l’influence d’un luxe habitué à l’étroitesse de l’espace[3]. Cette restriction s’imposa de même à la Renaissance vénitienne et à tous les styles qui se sont succédé dans la cité des lagunes. Comme nous le verrons

  1. La Porte della Carta était primitivement dorée, à en juger par la copie de Sebastiano Lazzaro (Académie, no 553).
  2. Les constructions de quelque importance sont pour la plupart attribuées à la famille d’artistes des Lombardi, dont on nomine un Martino Lombardo, l’aîné (cité en 1425), son fils (?) MORO, un PIETRO L.(cités de 1482 à 1511) avec deux fils Antonio et Tullio (mort en 1532), un Sante L. (1564-60) et un Tommaso L. d’une époque postérieure ; sans compter d’autres du même nom. Tout fait croire qu’ils étaient réellement Lombards, et leurs sculptures ne dementent pas cette origine. Fussent-ils même de la famille vénitienne des Lodibardi, parfois pourtant on remarque chez eux l’étude de lignes d’un Bramante ou d’un Lanrana. — Girolamo Lombardi, de Ferrare, de même qu’Alfonso Lombardi (dont nous parlerons avec plus de détail au chapitre de la Sculpture), n’ont aucun lien avec cette famille.
  3. Comparer, par exemple, l’hôtel de ville de Plaisance.