Page:Burnett - Le Petit Lord.djvu/159

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de soleil. De nouveau les daims et les chevreuils levèrent leurs têtes fines pour regarder passer la voiture, et les lapins disparurent dans le fourré. Il entendit l’appel des perdrix, les chansons des oiseaux, et tout lui parut plus beau encore que la première fois. L’aspect de toutes ces magnificences remplissait son cœur de joie et d’amour. Mais le vieux comte voyait des choses très différentes, quoique ses yeux contemplassent les mêmes objets. Il voyait une longue vie qui ne contenait ni actions généreuses ni bonnes pensées. Il voyait une suite d’années pendant lesquelles un homme jeune, fort, riche et puissant n’avait employé sa jeunesse, sa force, sa richesse et sa puissance que pour sa propre satisfaction. Il vit cet homme, quand l’âge fut venu, rester seul, sans ami, au milieu de toutes ses richesses ; il vit des gens qui le craignaient et le détestaient ; d’autres qui le flattaient et rampaient devant lui ; mais pas une seule personne qui se souciât qu’il vécût ou qu’il mourût, à moins qu’ils eussent à gagner ou à perdre quelque chose par sa mort. Il contemplait son immense propriété : car il savait, lui, ce que le petit lord ne savait pas, c’est-à-dire jusqu’où elle s’étendait ; il songeait aux richesses qu’elle représentait, aux nombreuses familles qui vivaient sur ses terres, et il se disait — autre chose dont Cédric ne se doutait pas — qu’il n’était pas un seul habitant de ces demeures, humbles ou aisées, qui eût jamais eu la pensée d’appliquer au propriétaire de tous ces biens l’épithète de « bon », et que pas un n’eût voulu lui ressembler, comme le souhaitait en ce moment son petit-fils, avec son âme candide.

Ces réflexions n’étaient pas précisément agréables, même