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DU BUDDHISME INDIEN.

Matière, il faudrait, par le seul fait de l’existence de cette cause, que le monde eût été créé dans sa totalité, d’une seule fois ; car on ne peut admettre que la cause soit sans que son effet existe. Mais on voit les êtres venir au monde successivement, les uns d’une matrice, les autres d’un bourgeon ; de là on doit conclure qu’il y a une succession de causes, et que Dieu n’est pas la cause unique. Mais, objecte-t-on, cette variété de causes est l’effet de la volonté de Dieu, qui a dit : Que tel être naisse maintenant, de manière que tel autre naisse ensuite ; c’est ainsi que s’explique la succession des êtres, et qu’il est prouvé que Dieu en est la cause. À cela on répond qu’admettre plusieurs actes de volonté en Dieu, c’est admettre plusieurs causes, et que c’est détruire la première thèse, celle qu’il n’y a qu’une seule cause. Il y a plus : cette pluralité de causes ne peut avoir été produite qu’en une fois, puisque Dieu, source des actes distincts de volonté qui ont produit cette variété de causes, est unique et indivisible. Ici encore reparaît l’objection faite tout à l’heure, savoir, qu’il faudrait admettre que le monde a été créé en une fois. Mais les fils de Çâkya tiennent pour cette maxime, que la révolution du monde n’a pas de commencement[1]. »

Ce passage est remarquable sous plusieurs rapports, et il suffit du plus rapide examen pour reconnaître combien la théorie qu’il exprime est éloignée du naturalisme panthéistique des principales écoles brâhmaniques ; mais les conséquences qu’on en peut tirer pour l’histoire du Buddhisme même doivent surtout nous occuper. Il est évident que l’ouvrage auquel ce passage est emprunté appartient au plus ancien des systèmes philosophiques des Buddhistes, à celui qui reproduit de la manière la plus fidèle les premières tentatives faites par la spéculation pour régulariser les éléments purement métaphysiques de cette croyance ; et quant au commentaire de cet ouvrage, je le crois antérieur aux quatre grandes sectes qui se partagent aujourd’hui les philosophes du Népâl. Je tire cette conséquence de ce que Yaçômitra ne les cite pas une seule fois par leur nom. L’absence du titre d’Âiçvarika (déiste) me paraît concluante, surtout après le passage qu’on vient de lire touchant la question de l’existence de Dieu. Dira-t-on que si l’auteur ne fuit aucune allusion à l’Âdibuddha des Âiçvarikas, il est possible d’expliquer son silence, en admettant qu’exclusivement occupé du système qu’il avait adopté, il n’a pas l’occasion de traiter d’une théorie qui n’est pas la sienne ? Cette explication serait à mon sens insuffisante, et je suis persuadé que le système d’un Âdibuddha n’eût pu exister du temps de Yaçômitra, sans qu’il en eût parlé dans son commentaire. Si donc, voulant com-

  1. Abhidharma kôça vyâkhyâ, f. 171 a de mon manuscrit.