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INTRODUCTION À L’HISTOIRE

pendants de ces livres eux-mêmes. Où faut-il en effet chercher les points auxquels les rédacteurs des ouvrages buddhiques auraient dû rattacher les événements dont ils nous ont conservé le souvenir, si ce n’est dans l’histoire générale de l’Inde ? Mais si cette histoire n’existait pas encore de leur temps, peut-on leur reprocher de la connaître moins bien que ceux qui auraient dû la faire ? Loin donc d’accuser les Buddhistes d’être plus étrangers à toute notion d’histoire véritable que les Brâhmanes eux-mêmes, il faut dire que s’il n’y a pas d’histoire positive dans leurs livres, c’est qu’il n’y en avait pas dans ceux de leurs adversaires ; car s’il en eût existé dans l’Inde un corps un peu développé, au temps où parut le Buddhisme, l’esprit positif de cette doctrine, son matérialisme et sa vulgarité même, qui sont ici des qualités, sa position comme réforme d’un ordre de choses antérieur, toutes ces circonstances en un mot eussent engagé les rédacteurs des textes sacrés à donner toute la précision désirable aux faits dont ils croyaient utile de conserver la mémoire.

Je me persuade donc qu’en notant avec soin les noms des rois qui assistaient à l’enseignement de Çâkya, et ceux des Brâhmanes qui lui résistèrent ou qui se firent ses disciples, en rappelant les lieux où il naquit et où il vécut, et en fixant avec une précision remarquable le théâtre de ses prédications, les rédacteurs des livres sacrés ont obéi à un instinct historique qu’on chercherait vainement dans les compositions des Brâhmanes, où les Dieux tiennent tant de place que l’homme et son histoire y disparaissent complètement. Enfin il y a un fait décisif et tout à l’avantage de la littérature buddhique, c’est que l’histoire de l’Inde ne commence à s’éclaircir qu’à l’époque de Çâkyamuni. À partir de ce sage, l’Inde centrale se couvre de monuments et d’inscriptions véritablement historiques ; on voit s’établir de précieux synchronismes entre ce pays et l’histoire des peuples occidentaux ; les livres buddhiques enfin s’enrichissent de détails et d’indications d’un caractère réellement positif, qui sont encore les plus intéressants de ceux que nous possédons sur l’état de l’Inde depuis le vie siècle environ avant notre ère. J’ajoute que, quoique fondée sur l’étude personnelle des livres buddhiques, l’appréciation que j’en fais ici ne m’est pas particulière : Benfey date de l’époque de Çâkya l’histoire de l’Inde ; et Lassen, dans ses recherches sur les antiquités de ce pays, prend également cette époque pour le point de départ assuré de tous les travaux relatifs à l’histoire de l’Inde dans les temps antérieurs et postérieurs au dernier Buddha[1].

Les remarques précédentes n’ont pas seulement pour objet de placer les livres

  1. Benfey ; Götting. gelehrt. Anzeig. Mai 1841, p. 746 sqq., et surtout p. 748 et 749. Lassen, Indische Alterthumskunde, t. I, p. 471. On ne peut trop étudier les excellentes remarques de ce dernier auteur ; j’y reviendrai dans mon esquisse historique du Buddhisme indien.