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LE LOTUS DE LA BONNE LOI.

brâhmaniques avec l’Adjâtasattu contemporain de Çâkyamuni[1]. Si je ne pousse pas plus loin en ce moment cette recherche curieuse, ce n’est pas que je me rende aux arguments par lesquels M. Weber croit l’avoir terminée, quand il dit 1o que l’Adjâtaçatru des Brâhmaṇas est roi de Kâçi (plus tard Bénarès), tandis que l’Adjâtasattu des Suttas l’est de Râdjâgrĭha ; 2o qu’on ne voit pas de raison pour qu’il n’ait pas existé deux rois distincts du nom d’Adjâtaçatru[2]. À mes yeux l’objection géographique n’est pas très-forte, parce que dès le temps de Bimbisâra, père d’Adjâtaçatru, le royaume de Magadha avait pris dans l’Inde centrale une prépondérance considérable, à laquelle n’avait sans doute pu résister la population de Kâçi. Quant à la seconde objection, elle n’a guère plus de valeur que toute autre supposition du même ordre. Il vaut mieux renoncer à un argument de ce genre, et dire que les preuves de l’identité de l’Adjâtasattu des Suttas et de l’Adjâtaçatru des Brâhmaṇas ne sont ni assez nombreuses ni assez convaincantes pour la faire admettre définitivement. Mais c’est seulement sous cette réserve que je ne l’adopte pas dès aujourd’hui, et j’ai l’espérance qu’une lecture plus avancée des textes du Sud devra donner quelque lumière nouvelle sur ce sujet intéressant.

Je passe à un autre ordre de noms qui nous étaient déjà connus par les légendes du Nord : je veux parler des six ascètes dont les opinions philosophiques sont brièvement et quelquefois obscurément rappelées par le roi Adjâtasattu. De courtes notes ont signalé à mesure qu’ils se présentaient, la forme primitive de ces noms en sanscrit ; il en est un cependant sur lequel les Suttas du Sud nous donnent un détail de plus que ceux que nous trouvons dans le Sâmañña phala. C’est Nigaṇṭha Nâtaputta, « Nigaṇṭha, fils de Nâta, » et, selon les Buddhistes du Nord, « Nirgrantha, fils de Djñâti. » Le Sag̃gîti sutta, l’avant-dernier des trente-trois Suttas que renferme mon exemplaire du Dîgha nikâya, nous apprend qu’au temps où Çâkyamuni se trouvait à Pâvâ chez les Mallas, qui sont désignés dans le texte sous le nom de Pâvêyyâkâ Mallâ, « les Mallas de Pâvâ, » et appelés par le Buddha Vâsêṭṭhâ ou Vasichṭhides, Nigaṇṭha, fils de Nâta, venait de mourir, et que la discorde s’était introduite parmi ses disciples[3]. Rien, dans le Sâmañña phala, ne nous dit qu’il fût encore vivant, lorsque le roi Adjâtasattu fait part au Buddha de l’entretien philosophique qu’il avait eu avec lui ; mais rien ne nous apprend non plus qu’il fût mort à cette époque, et il y a quelque vraisemblance qu’il ne l’était pas, à moins qu’on ne regarde le préambule du Sâmañña phala comme tout à fait arbitraire et composé après coup et sans autre intention que de faire figurer les six philosophes adversaires de Gôtama Buddha dans une exposition où l’avantage devait rester à ce dernier. Si l’on suppose qu’il vivait au temps où nous reporte le Sâmañña phala, on en devra conclure que le Sag̃gîti sutta est postérieur, je ne dis pas pour la rédaction, mais pour le fond, au Sâmañña phala, puis-

  1. Lassen, Ind. Alterth. t. I, p. 710, 742, et t. II, p. 77 et 510.
  2. Weber, Ind. Stud. t. I, p. 213.
  3. Sag̃gîti sutta, dans Dîgh. nik. 177 b. Il importe de remarquer que la ville de Pâvâ dont il est question quand on parle de la tribu des Mallas, était située dans le pays dont Kusinârâ passe pour la capitale ; Pâvâ n’était éloignée de cette dernière ville que de trois gavutâni, environ douze milles anglais. (Turnour, Examin. of pâli Buddh. Annals, dans Journ. As. Soc. of Bengal, t. VI, p. 513, et t. VII, p. 1005.) Le pâli gavuta répond au sanscrit gavyûti.