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APPENDICE. — N° IV.

il suit, la définition d’après les Tibétains : « Il y a du chagrin ou de la misère dans la vie ; il en sera ainsi dans chaque naissance ; mais cela peut être arrêté ; enfin la quatrième vérité est la voie ou la manière de mettre un terme à toutes les misères[1]. » Je ne dois pas oublier de rappeler qu’A. Rémusat est revenu plusieurs fois sur cette doctrine dans ses notes à la suite du Foe koue ki, sans cependant l’éclaircir par des détails suffisants[2].

Mais de tous les auteurs qui avant ces derniers temps avaient eu occasion de toucher à ce point capital, le savant qui en a peut-être marqué le mieux la véritable origine est Deshauterayes, dans la dissertation duquel nous trouvons ce passage : « Quand Çâkya visita les ascètes brahmaniques, il leur demanda quels moyens ils employaient contre la nécessité de naître, de vieillir, de devenir malade et de mourir[3]. » C’est en effet la considération des misères de l’existence de l’homme ici-bas, qui a été le point de départ de la doctrine de Çâkya ; et ces misères le frappèrent si profondément, qu’il appela vérité la certitude qu’il avait acquise qu’elles étaient inévitables.

On trouve chez les Buddhistes du Sud, auxquels cette théorie des quatre vérités sublimes n’est pas moins familière qu’à ceux du Nord, de précieux, développements qu’il importe de résumer ici, pour montrer par un exemple frappant l’identité fondamentale de la doctrine professée par les deux écoles indiennes, celle du Népal ou du Tibet, et celle de Ceylan. On en doit la connaissance à un court mais très-bon mémoire de M. le colonel H. Burney, Résident anglais à Ava, qui a enrichi le Journal asiatique du Bengale de dissertations malheureusement trop peu nombreuses, mais toutes portant la marque d’un savoir très-étendu et d’une grande intelligence[4]. Il y a, selon les Buddhistes d’Ava (nous dirions selon les Buddhistes de tous les pays), quatre vérités fondamentales, ou lois morales de l’univers, à la connaissance desquelles Çâkyamuni parvint intuitivement, le matin même du jour où il atteignit au rang suprême de Buddha parfait. Ces quatre vérités sont nommées dukkha pour duḥkha, la douleur ; samudaya, la production ; nirôdha, la cessation ou l’arrêt ; et magga pour mârga, la voie. La première vérité, celle de la douleur, exprime la nécessité d’exister et de souffrir tout ensemble, à laquelle tous les êtres sensibles sont soumis, pendant que, sous l’influence de leur bonne ou de leur mauvaise conduite antérieure, ils passent successivement dans les trois états différents d’existence, celui de Dieu, d’homme ou d’animal. Nous avons vu plus haut qu’il y a, outre ces trois modes d’existence, trois autres destinées qui sont comprises sous la dénomination collective des trois états misérables ou de châtiment, lesquelles réunies aux trois premiers modes, forment l’ensemble de ce qu’on nomme les six gatis ou voies de l’existence[5]. La seconde vérité, celle de la production, indique l’inévitable sujétion des êtres aux passions et aux désirs sensuels qui les attachent fatalement à l’existence. La troisième vérité, celle de la cessation ou de l’arrêt, indique le terme de l’action des deux lois précédentes, ou plus directement, l’anéantissement de celle qui précède immédiatement, c’est-à-dire la pro-

  1. Notices on the life of Shakya, dans As. Res. t. XX, p. 294 et 301.
  2. Foe koue ki, p. 9, 10 et 312.
  3. Journ. Asiat. t. VII, p. 163.
  4. Discovery of Buddhist Images with Deva-nâgari Inscriptions at Tagoung, etc. dans Journ. asiat. Soc. of Bengal, t. V, p. 157 sqq.
  5. Ci-dessus, fol. 4 b, p. 309 et 356.