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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/102

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que j’estime tant, et sur la bonne foi duquel je me repose ; et je m’imagine qu’il n’y a que lui qui aime comme je veux être aimé. Quelle peine aurois-je à discerner si ces coquettes aimeroient ma personne ou ma grandeur, si la joie de voir un roi à leurs pieds ne leur donneroit pas plus de plaisir que l’excès de mon amour leur donneroit de tendresse ? Mais pour vous, je suis persuadé que votre esprit est au-dessus des couronnes et des diadèmes ; que vous aimez mieux en moi la qualité d’amant passionné que celle de roi grand et puissant ; qu’il est même des momens où vous voudriez que je ne fusse pas né sur le trône, pour me posséder en liberté : jugez donc si, connoissant en vous des sentiments si vertueux et si héroïques, je pourrois jamais changer en faveur de quelque beau petit visage que la moindre maladie pourroit détruire ? Non, non, Madame, croyez que je ne me suis point donné à vous par l’éclat de votre teint, et par le brillant de vos yeux ; cela a été par des qualités si belles que vous ne me perdrez jamais qu’avec la vie : en un mot, cela a été par votre âme, par votre esprit et par votre cœur, que vous m’avez fait perdre la liberté. — Que vous avez de bonté, mon cher prince, d’employer toute la force de votre éloquence pour assurer un cœur qui ne craint trop que parce qu’il aime trop ! Que je suis heureuse d’aimer un prince qui connoît et qui pénètre si bien mes sentimens ! Oui, continua-t-elle en l’embrassant, vous avez raison de croire que votre grandeur ne m’éblouit point, que je n’ai point regardé votre couronne en vous aimant, et que je n’ai envisagé que votre seule personne : elle n’est,