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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/126

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être, fit plus de mal que de bien, car il cria tant aux oreilles du chirurgien que la peur lui fit manquer deux fois son coup. Son amant devint pâle comme un linge ; mais ce fut bien autre chose quand on vit que mademoiselle de la Vallière, en retirant son pied, fit rompre le bout de la lancette. Le Roi, animé comme si ce misérable l’eût fait exprès, lui donna un coup de pied de toute sa force, qui en vérité est beaucoup dire, et l’envoya d’un bout de la chambre à l’autre. Le Roi se jeta à sa place, et prit le pied de cette admirable [1], en attendant un autre chirurgien, qui lui tira le bout de la lancette et la saigna fort bien. Elle fut pourtant obligée de garder le lit un mois. Le Roi différa dix jours, pour l’amour d’elle, son voyage à Fontainebleau, après lequel il fallut partir ; mais tous les jours elle avoit des nouvelles du Roi, et le Roi en avoit des siennes. Voici un des billets qu’elle lui écrivit :

Mon Dieu ! qu’il est incommode d’aimer un prince aussi charmant que vous ! on n’a pas un moment de repos, on craint même mille choses qui ne peuvent pas arriver ; enfin je vous veux souvent du mal d’être trop aimable. Plaignez donc ce cœur que vous rendez malheureux ; excusez-le de toutes les peines que je vous donne de m’aimer triste, absente, importune, et, si j’ose dire, jalouse.

En voici la réponse :

Le triste état où mon cœur me réduit depuis que je ne vous vois pas, mon enfant, est assez pitoyable

  1. Admirable, illustre, remplacèrent le mot précieuse, lorsqu’il fut discrédité.