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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/208

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conclure ; et, moitié par habitude, moitié par un honneur qu’on se fait d’être constant, en entretient plusieurs ans le misérable reste d’une passion usée. Quelques exemples de cette nature font faire de sérieuses réflexions aux plus jeunes filles, qui regardent le mariage comme une aventure, et leur naturelle condition comme le veritable état où elles doivent demeurer. Pour les femmes, s’étant données une fois, elles croient avoir perdu toute disposition d’elles-mêmes, et ne connoissent plus autre chose que la simplicité du devoir. Elles se feroient conscience de se garder la liberté des affections, que les plus prudes se réservent ailleurs séparées de leur engagement, et sans aucun égard à leur dépendance. Ici tout paroît infidélité, et l’infidélité, qui fait le mérite galant des cours agréables, est le plus gros des vices chez cette bonne nation, fort sage dans la conduite du gouvernement, peu savante dans les plaisirs délicats et les mœurs polies. Les maris payent cette fidélité de leurs femmes d’un grand assujettissement ; et si quelqu’un, contre la coutume, affectoit l’empire dans la maison, la femme seroit plainte de tout le monde comme une malheureuse, et le mari décrié comme un homme de très méchant naturel.

Une misérable expérience me donne assez de discernement pour bien démêler toutes ces choses, et me fait regretter un temps où il est bien plus doux de sentir que de connoître ; quelquefois je rappelle ce que j’ai été pour ramener ce que je suis ; du souvenir des vieux sentimens, il se forme quelque disposition à la tendresse, ou du moins un éloignement de l’indolence. Tyrannie heureuse que celle des passions, qui font les plaisirs de notre vie ! Fâcheux empire que celui de la raison s’il nous ôte les sentimens