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Page:Bussy Rabutin - Histoire amoureuse des Gaules, t. 2, éd. Boiteau, 1857.djvu/78

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jugez si j’en ferois difficulté ; d’ailleurs, ne l’aimant point, le Roi me feroit un extrême plaisir de la divertir. Mais, Madame, reprit-il avec un air charmant et passionné, ce sont vos yeux qui m’en empêchent, qui ne voudroient plus me regarder avec douceur, ou, pour mieux dire, c’est la possession de votre illustre cœur, de laquelle je me rendrois indigne si je pouvois consentir à vous déplaire. Ainsi je vous jure par vous-même, qui êtes une chose sacrée pour moi, que jamais je ne penserai à aucun engagement, quelque avantageux qu’il puisse être [1]. » La comtesse étoit si charmée de voir des sentimens si tendres et si honnêtes à son amant, qu’elle ne savoit que lui dire pour lui exprimer sa joie. Madame survint sur le point de leur extase, accompagnée du comte de Guiche, auquel ils ne firent mystère de rien. Voilà l’établissement d’une agréable société, chacun se promettant de se servir utilement.

Cependant nos deux couples d’amants résolurent de faire rompre un commerce plus honnête et plus spirituel que le leur. Pour cet effet, ils écrivirent une lettre [2] à la señora Molina [3],

  1. Var. : Après cette phrase, on lit dans la copie de Conrart : « Madame survint sur ces entrefaites, à qui ils ne firent mystère de rien ; elle loua sa fidélité. Le comte de Guiche fut de leur société. Ce soir-là, ces deux blondins voulurent faire merveilles ; mais, hélas ! qu’elles furent petites ! Cela auroit déplu aux dames, si elles n’avoient eu leurs maris qui étoient meilleurs gendarmes que leurs amants. Cependant ces deux couples…
  2. « Ils écrivirent une lettre à la Reine », lit-on dans les mss. de Conrart. Le nom de la señora Molina n’y est pas même prononcé.
  3. Dona Maria Molina, première femme de chambre espagnole. Ce n’est pas ainsi que madame de La Fayette raconte cet incident, qui auroit causé le renvoi de madame de Navailles, dénoncée comme coupable par de Vardes lui-même, au lieu d’avoir suivi cette calomnie, comme il est dit ici ; Conrart, résumant madame de La Fayette, cite un entretien du Roi et de Madame. Celle-ci auroit dit « que la comtesse de Soissons s’étoit rencontrée chez la Reine à l’ouverture d’un paquet du Roi son père, en avoit ramassé et serré l’enveloppe sans qu’on s’en aperçût ; qu’on avoit fait faire un cachet aux armes d’Espagne tout semblable à celui dont les lettres du roi d’Espagne avoient accoutumé d’être cachetées, et que, cette lettre contrefaite étant enfermée dans cette enveloppe véritable, le paquet en avoit été porté, comme de la poste, à la señora Molina, première femme de chambre de la Reine, qui les reçoit ordinairement. » (p. 282, collect. Petitot, t. 48, 2e série.)