Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/106

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prisonnières de la poussière et du bruit. Là-bas, dans l’ombre d’un estaminet borgne, une pauvre femme maigre à faire peur, les traits tirés, les lèvres bleuies, interroge fiévreusement les collets relevés qui se faufilent dans l’antre du vice. La lumière jaune des lustres et des glaces pique des reflets de cuivre sur cette face osseuse. Tout à coup, la malheureuse saute sur un de ceux qui poussent le paravent de la buvette.

— Louis ! C’est moi, viens-t’en… Les enfants n’ont pas dîné et il n’y a pas de feu.

L’homme tente de lui échapper. Mais la malheureuse a la poigne solide.

— Oui, oui, rien qu’un coup et je reviens ! fais pas la bête.

— Louis !… ta paie va y passer encore.

— Laisse moi !…

Elle pleure maintenant, et plus désespérément se cramponne à lui pour l’empêcher d’entrer.

Une onde frissonnante passe sur son corps décharné dont les os percent le cachemire râpé.

— C’est bon ! c’est bon !… braillarde ! on y va ! on y va !…

Hargneux, mal ému, comme un chien à qui l’on arrache son os, il suit en bougonnant sa vaillante compagne, dont la pâle figure a un rayonnement : Les enfants auront du pain et du feu… Au loin le raclement d’un vieux violon accompagne la chanson traînante et grelottante d’un garçonnet. Les notes fausses de la romance lamentable s’égrènent dans l’air glacial. À chaque couplet, le musicien tape quelques pas de danse autant pour se réchauffer que pour égayer la ritournelle…

Entre deux politiciens :

— Moi, je ne suis pas pour l’idée d’envoyer des Canadiens au diable vert, se faire hacher en chair à pâté, au service de messieurs les Anglais.