Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/144

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mense jardin où la brique des maisons dessine de grandes fleurs rouges comme des coquelicots. Les flèches des églises scintillent de mille feux, les toits écrasés de saint Jean-Baptiste et de la Cathédrale ressemblent à des mosquées. Les cheminées des usines s’estompent vaguement et leur pâle fumée se noie dans l’atmosphère purifiée, à mesure qu’elle monte vers les hauteurs. Et là-bas, dans une brume noire, Notre-Dame élève au ciel ses bras désespérés. Le grand fleuve descend et flâne tout le long de l’île, la campagne, d’un vert tendre, s’étend paresseusement ; les petits monts d’un bleu cotonneux, s’égrènent en chapelet, voilant le vague des horizons. Restez-là durant des heures, vous serez toujours charmés, car la coquette ville change souvent d’atours. Dès l’aurore, enveloppée d’un foulard de gaze rose, elle étale à midi la splendeur de ses charmes… non voilés. Parfois, sous le réseau d’une pluie fine, comme une vieille, elle montre ses attraits pâlis. Le soir, enveloppée de la mantille sombre des nuits, à travers le velours noir du loup, ses yeux brillent comme des diamants. Même en dormant, la belle cité dégage une buée chaude et lumineuse, qui défie la pâleur froide de l’astre des soirs. Étincellante à l’automne, sous sa parure de rubis et de topaze, pure comme une blanche prêtresse au temps des neiges dans sa robe de lin constellée de pâquerettes de givre, notre ville est bien réellement la perle de l’Amérique !…

Quand votre prunelle s’est emplie de lumière, laissez vagabonder votre imagination, laissez la folle se perdre dans le bleu, pendant qu’étendu indolemment sur l’herbe, vous entrez dans une demi-somnolence, plus douce que le sommeil, puisque vous avez conscience de votre rêve. Créez de toute pièce un idéal que vous ornerez de la poésie qui est en vous, devenez-en amoureux fou,