Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/154

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femmes traînent les allées, croyant par cet acte inhumain acquérir un cachet de suprême distinction, je comprends que de tels hommes soient les promoteurs des révolutions, et qu’ils excitent chez le peuple la fureur qui ne se connaît plus. De même qu’un grain de sable peut troubler tout le mécanisme d’une machine, il suffit parfois d’un pareil égoïsme pour déposer dans l’âme des humiliés un levain d’amertume, que la moindre injustice plus tard fera éclater.

L’an dernier, je fus témoin d’une scène qui serait digne de clouer son auteur au pilori. Une pauvre infirme avait pris place dans un banc. Arrive le propriétaire, un gros bonhomme tout rouge qui faisait se séparer la foule en deux, comme jadis les flots de la Mer Rouge, au passage de Moïse.

M. le juge X…, chuchotait-on.

— Sortez, fait M. le juge, en cognant sur la porte du banc avec sa canne. La malheureuse, toute effacée, presque rentrée dans la mince cloison qui sépare les deux rangées de sièges, reste immobile comme une borne.

— Sortez !

Motus — L’infirme feint de ne pas entendre, mais le rouge de la honte lui colore les oreilles.

— Pst !…

M. le juge fait signe au suisse chamarré d’or dont la haute canne à pommeau bat la mesure sur les dalles. Ses mollets charnus s’arrondissent sous la gaîne serrée des bas bien tirés.

Le bedeau ahuri parlemente quelques instants avec la prévenue et son accusateur. Il tente sans doute une réconciliation ; mais finalement il prend la malheureuse par les épaules, malgré sa résistance désespérée, et la met rougissante, anéantie, hors du banc.

C’est égal, j’aime mieux rester Gros Jean, que d’être M.