Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/165

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Petit, mange des couennes de lard, si tu veux avoir une belle grande barbe !… Et, vous avaliez sans broncher de méchantes choses croustillantes, qui vous râpaient le gosier. N’allez pas nier, monsieur Paul, on vous a surpris un jour devant le miroir, couvrant d’une mousse légère votre menton, qui ressemblait à une rose tombée dans de la crème. On vous a vu, d’une main hésitante, promener le rasoir sur votre joue et la gratter si fort, que des larmes vous montaient aux yeux. Vous reçûtes la première notion du sens de la vie : on doit payer nos moindres plaisirs avec la monnaie de la souffrance.

Plus tard, il faudra creuser, fouiller votre cervelle pour en arracher l’idée créatrice et mettre en jeu toutes les forces motrices de votre intelligence. C’est de ce fractionnement continu de toutes vos facultés que jaillira l’étincelle divine, météore céleste qui brille dans notre désert et guide la marche des peuples, vers la terre promise.

Amours, espoir, réussite, tout vous a souri à cette saison dorée qui donne l’incarnat aux joues, le velouté aux pêches et l’ombre duvetée aux mentons. Grâce à votre moustache, vous avez osé braver le destin. Et les illusions, les rêves de vos matins de printemps se sont réalisés… N’avez-vous pas une affection qui borne et remplit votre horizon ! Un asile de paix, où vous trouvez un dévouement constant, une reposante quiétude, avec bébé, cette mésange qui chante tout le jour. Car elle est déjà femme la grassette enfant, elle trouve infiniment drôle la moustache de papa qui se promène dans la petite chemise, agaçant les jolies fossettes de son cou blanc… Oh ! ça pique !… Encore !… Tu me chatouilles !… Et chaque soir, Bébé guette avec impatience le retour du père et du baiser qui pique et fait tant rire !… Elle restera dans ses rêves, cette moustache, elle viendra frôler