Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/19

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

étreinte passionnée. Le sang s’échappait en bouillonnant de l’épaule fracassée et coulait de la blessure jusque sur l’étendard de France. Au même moment les canons anglais grondèrent la victoire des fils d’Albion, chèrement achetée, puisqu’elle leur coûtait la vie de Wolfe. Les officiers accoururent au-devant de Montcalm et le reçurent dans leurs bras. Mais le général français se redressa soudain, son grand corps sanglant domina un instant la plaine maudite, il apparut dans sa pâleur marmoréenne comme un dieu guerrier, avec une moue de défi au coin de ses lèvres minces :

— « Je… meurs content… soupira-t-il. Je ne verrai pas la prise de Québec par les Anglais. »

Le héros ouvrit plus grand ses yeux éclairés déjà de la lumière éternelle ; sa bouche, crispée par la haine, se détendit. Il roula sur le champ de bataille, confondu avec les humbles héros morts inconnus pour le drapeau de la France adorée.

Le voile du temple ne se déchira pas, mais le cap granitique gémit jusque dans sa base. Comme un arc-en-ciel de paix, l’on vit se profiler sur le fond sombre des Laurentides une bande lumineuse formée des trois couleurs Bleu-Blanc-Rouge. Effet de mirage, sans doute, la grande ligne bleue du fleuve, le drapeau blanc des croisés, la traînée de sang vermeil jaillie de la blessure de Montcalm, harmonisèrent leurs trois couleurs et se sensibilisèrent dans l’éther. Ô merveille, un éblouissement tricolore comme une oriflamme aérienne flotta dans l’air libre !

La plaine d’Abraham d’où sortent parfois d’étranges clameurs est restée une terre déserte et morne, écorchée par les vents, brûlée par un soleil vengeur. Solitude plus triste que celle des prairies de l’Ouest, puisque aucune fleur ne l’égaye