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bleu — blanc — rouge

semble correspondre parfois à certains frémissements de notre être. Le P. Gratry a dit : « Ne savez vous pas que toute âme vit du mouvement des autres âmes et qu’une âme peut sentir en soi une âme qui l’a touchée. » De même qu’un frisson court sur les feuilles, aux approches de l’orage, n’avons-nous pas en notre âme une feuillaison intime qui tremble à l’approche de certains malheurs. Le pressentiment — puisqu’il faut l’appeler par son nom — pourquoi vous fait-il sourire, messieurs les savants ? Avant de mettre en doute la bonne foi et l’intelligence de ceux qui ont entendu de ces voix avant courrières de catastrophes, êtes-vous bien certains de l’infaillibilité de cette chose mouvante qui s’appelle la science. Parce que votre bistouri n’a rien touché, s’en suit-il que ce qui échappe à votre diagnostic n’existe pas ? Savez-vous si demain, un nouveau rayon d’une lumière à trois XXX n’éclairera pas ce qui nous semble obscur aujourd’hui ?

L’idéal, qu’est-ce ? Cette vision brune ou blonde, douce, souriante et consolante, penchée sur la couche de l’adolescent, qu’il retrouve en ses rêves, qu’il cherche partout, expirant, les bras tendus vers elle, sans l’avoir pu incarner ? — Le souvenir de quelque vision des pays bleus entrevue dans une trouée de l’azur et dont son âme a gardé le reflet ?

Oui, pressentiment, idéal, télépathie, coup de foudre de l’amour, quand donc l’archet humain saura-t-il tirer des mélodies de ces multiples cordes de l’âme, qui n’attendent peut-être que le souffle éolien de l’inspiration pour se mettre à vibrer. Les curieux du paradis trépignent des pieds et crient : musique !

Les délicats soupirent discrètement, le chef d’orchestre lève le bras. Qui sait, l’harmonie divine, partie des lointaines étoiles, depuis des milliers d’années, va