Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/28

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tion avait gagné la ville entière. Elle flottait dans le soleil, elle volait avec le vent. Tout Montréal se portait au passage des étudiants de Laval, on stationnait dans les carrefours, en criant « Vive la France ! » Des têtes s’entassaient aux fenêtres pour voir passer les héros du jour ; à défaut de fleurs, les femmes jetaient leur cœur… Je me souviens qu’un vieux disait, les yeux en pleurs, secoué d’une émotion nerveuse : C’est beau ! C’est beau !… Et quand les étudiants du McGill durent retraiter sous la pression des boyaux d’incendie, penauds, vaincus, ridiculisés, trempés jusqu’aux os, ce fut dans toute la Province de Québec un immense éclat de rire, une envolée de toutes les âmes vers les braves étudiants !… N’est ce pas notre sang français qui n’a fait qu’un tour, à l’insulte lancée au drapeau tricolore ?

La patrie, dites-vous, c’est le coin de terre où nous avons vécu et aimé. Ce serait pour l’homme, comme pour la plante et l’animal, un besoin physique du sol et du climat, une question d’alimentation, quoi ? Parodions, pour l’adoucir, la réponse de Gryllus à Ulysse : « La patrie de l’oiseau, c’est partout où il y a du mil. » Ce qui constitue la nationalité, c’est la communauté d’idées, de sentiments, d’intérêts moraux, le libre accord des volontés et des cœurs, le même idéal, le même amour du beau, de la vérité, de la liberté, de la lumière, dont la France est le foyer.

— Mais la France nous a abandonnés ?

— Comment la France ?… Louis XIV, Louis XV !

Vous appelez ça la France ? Ces tyrans ne furent pas plus la personnification de la Vierge celtique que le Tartufe celle du chrétien. Hélas ! il advint que la France épuisée n’avait plus une goutte de lait à donner à son fils nouveau-né. On dut, malgré les pleurs de la mère, arracher l’enfant de ses bras et le confier à une saine et