Page:Côté - Bleu, blanc, rouge, 1903.djvu/96

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Mais dominant toutes ces mesquines ambitions, toutes ces vaines prétentions de la vanité, comme un chêne les maigres arbrisseaux de la forêt, le monument des exécutés de 37 pousse avec fierté la pointe de son aiguille en pierre jusqu’au ciel. Droit, sévère, sans ostentation, comme les humbles héros dont les noms en lettres d’or scintillent sous un rayon de soleil — moins profondément gravés dans le marbre que dans nos cœurs.

Ah ! ces braves ! comme ils surent mourir sans défaillance pour assurer nos libertés ! Que leur monument soit la colonne lumineuse guidant notre patriotisme vers la Terre de l’Indépendance, — le serpent d’airain dont la vue guérisse les âmes des morsures de l’envie, l’ennemie de notre race, ce reptile immonde qui sème la division dans nos camps et empoisonne nos plus nobles aspirations !…

Mais, par contre, que d’hypocrisies incrustées dans le granit ! Que de fausses larmes au bout des épitaphes mensongers ! Sur la tombe d’une femme morte des brutalités de son seigneur et maître, l’indigne mari a tracé ces mots : À mon épouse bien-aimée.

Une veuve inconsolable a trouvé plus facile de fleurir le tombeau de l’absent, que de lui garder son cœur et sa foi. Malgré la mine renfrognée du remplaçant, elle essuie des larmes, peut-être vraies, que lui arrache un tardif repentir.

Seuls les morts qui ont des mères ne sont pas oubliés. On les reconnaît aux décorations naïves des tombes. Quelques-unes ont de petites niches incrustées dans le bois, où la tendresse maternelle conserve comme des reliques les jouets, le portrait du pauvret, enguirlandés de fleurs en papier. Parfois l’orthographe pèche un peu, mais on devine le sentiment qui a dicté ces naïves inscriptions.