Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/177

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heures de bonheur qu’il goûta firent compensation aux crises de mélancolie. Mais celle-ci ne tarda pas à le reprendre, quand il lui fallut quitter l’existence de famille, pour entrer, avec son frère, au collège de Cambridge.

La ville universitaire produisit sur lui la plus fâcheuse impression.

« Quelle pitié que ce bel âge d’or soit fini, écrivait-il à sa tante ; quelle misère de ne pouvoir donner à nos songes aériens la consistance de la réalité ?… Je ne sais comment cela se fait, mais je me sens seul ici, au milieu de la société. Ah ! que ce pays est plat, que les divertissements sont monotones, les études de l’Université peu intéressantes et positives !… Il faut être un petit monsieur à l’esprit bien sec, calculateur et anguleux, pour se délecter aux A + V B, etc. »

Ce milieu était bien fait pour développer sa mélancolie native. Les accès de dépression et d’abattement, comme il s’en observe dans la neurasthénie, étaient fréquents chez cet adolescent soustrait à l’atmosphère familiale[1]. Le jeune Tennyson avait cette réserve des timides qui, craignant de n’être pas compris, préfèrent se replier sur eux-

  1. Cette dépression se manifesta parfois de façon assez étrange, comme quand le jeune Alfred, sorti par une nuit noire, alla se jeter sur une tombe du cimetière, implorant une place pour lui-même, sous le tertre gazonné !