Page:Cabanès - Grands névropathes, Tome III, 1935.djvu/176

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par là qu’il était mélancolique, hypocondriaque, sujet à des crises d’humeur noire. Le poète hérita de ce tempérament.

Dès l’âge de dix-huit ans, Alfred Tennyson pose pour le désabusé, fatigué de la vie avant de l’avoir vécue, et qui se fige dans une attitude de fière mélancolie. Écoutez-le parler :

« J’erre dans les ténèbres et dans la douleur, sans amis et solitaire, tandis que tristement murmure autour de moi la plainte désolée de la froide rivière. Le bruit du tonnerre éclatant, les échos déserts de la montagne répètent : le rugissement du vent est autour de moi, les feuilles de l’année gisent à mes pieds[1]. »

Ces accès de mélancolie le prenaient en plein bal.

« Je me souviens, raconte-t-il, que, quelquefois, au milieu d’une danse, une grande et soudaine tristesse m’accablait ; alors, je quittais la danse et allais errer au loin sous les étoiles ; ou bien, je m’asseyais au pied des escaliers, l’esprit assombri et distrait. »

À sa sortie de l’école et avant d’entrer à l’Université, le jeune Alfred avait été placé sous la direction de son père ; malgré les terreurs que celui-ci lui inspirait, le genre de vie qu’il mena, dans cette période, ne fut pas tout à fait sans agrément, et les

  1. Poems by two Brothers.